Femme et théâtre

Rencontre Africultures

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Le 18 septembre dernier, l’Atelier du Plateau inaugurait sa saison avec une rencontre Africultures, organisée en partenariat avec le Festival des Francophonies en Limousin, autour du thème de la femme et du pouvoir dans les nouvelles dramaturgies africaines francophones.

Plus de trois heures pour une rencontre basée sur la convivialité, l’échange d’idées et la découverte des auteurs dans l’espace culturel que vient d’ouvrir Gilles Zaepffel, metteur en scène, poète baroudeur, rue du plateau dans le 19ème arrondissement. Une mise en espace d’un texte de Caya Makhélé, « Les travaux d’Ariane », signée Koffi Kwahulé, avec la comédienne malienne Maïmouna Coulibaly comme lectrice. Une présentation de la programmation des 16èmes Rendez-vous des Théâtres Francophones en Limousin ensuite. Cinq auteurs (Caya Makhele, Pierre Mumbere Mujomba, Moussa Konaté, Ludovic Obiang, Auguste Makaya) et une critique (Sylvie Chalaye, Africultures) pour débattre du thème en question. Et pour finir en beauté, un tour de chant avec Diaba Koïta, une griotte malienne.
Le débat ? L’énoncé de départ était le suivant : Les personnages féminins sont souvent au cœur des dramaturgies africaines et détiennent un pouvoir dont dépend le ressort même de l’intrigue. Femme de tête, femme de cœur ou femme fatale, abusée ou prostituée, jeune effrontée ou amante flouée, belle Eurydice insaisissable descendue aux enfers ou vieille image allégorique de la terre natale… elles sont les dépositaires d’une parole performative : mensonge ou secret, une parole dont le dévoilement fait avancer l’histoire, et qui sous-entend la structure même de ces dramaturgies.
Femme symbole
Bille en tête, Caya Makhélé, dont le texte « Les travaux d’Ariane », déroule son fil à l’intérieur d’une pensée de femme, a été le premier à planter le décor : « C’est toujours une femme qui est le moteur de mes pièces. Je n’en avais pas conscience au départ. En me relisant, je me rends compte que j’ai sûrement été influencé par les femmes qui m’ont aidé à grandir, à exister et à prendre conscience de ma place dans la société. En observant autour de moi, je réalisais qu’il y avait toujours une femme à l’origine ou à la fin de quelque chose. Toujours une femme à l’origine de la vie. Elle est également là au moment où la vie s’éteint. Elle est aux deux bouts de la vie. A la naissance et à la mort. La femme est à l’origine du monde. Et c’est un personnage qui me permet de me situer en tant qu’homme dans la société dans laquelle je vis. C’est peut-être pour cela qu’à chaque fois, le fil conducteur de mes pièces est une femme. C’est pour me remettre en question… sûrement. Même si c’est de manière inconsciente au début. Maintenant, c’est de manière beaucoup plus réfléchie. Je pense qu’une femme qui apparaît dans une de mes pièces… prend l’essentiel de la tension dramatique de la pièce, parce qu’elle est le lieu pour moi de toutes les tragédies africaines aujourd’hui ».
La femme mystère, la femme en moi
Un aveu de la part de Koffi Kwahulé, dont l’œuvre se nourrit de personnages féminins aussi complexes que Jazz, Bintou ou Badi Badi : « Je n’écris pas pour prendre la défense des femmes, parce que je pense qu’un homme ne peut pas le faire. Je le pense d’autant plus que j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de femmes qui étaient infiniment plus intelligentes que moi. J’ai donc fini par me dire que s’il fallait défendre la cause des femmes, les femmes étaient assez grandes et assez intelligentes pour le faire elles-mêmes. Moi en tant qu’écrivain, j’utilise la femme comme une matière poétique… d’une poésie mystérieuse, parce que c’est ce que je ne connais pas du tout. C’est pour cela que j’écris dessus. J’essaie d’explorer ce que je ne connais pas. Mais je ne suis pas en situation de parler au nom des femmes. En fait, je ne construis pas des personnages de femmes. j’essaie d’écrire ce que je ne suis pas. En même temps, comme tout être humain a une part masculine et une part féminine, j’essaie de voir ce que je n’ai jamais exploré en moi-même. Et si j’en crois ce que les gens disent, lorsque je le fais, ça tombe juste. Donc c’est quelque chose que je vais chercher en moi. D’ailleurs, on ne peut pas construire de l’extérieur une femme, puisque ce que l’on voit, ce sont les rapports sociaux que nous créons entre hommes et femmes, entre femmes et femmes. Ce n’est pas la Vé-ri-té. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt de voir cette part de moi-même que je n’ai jamais provoqué. Et lorsque je provoque cette part de moi-même, c’est une part féminine qui s’en dégage ».
Avoir le droit de vivre sa destinée
Ludovic Obiang**, auteur actuellement en résidence à Limoges, réduit à son tour le champ de bataille : « La femme n’est qu’un alibi pour l’écrivain/homme, un alibi qui lui sert à remettre en cause un certain nombre de choses, même s’il est vrai qu’il y a une volonté d’écoute de la part des dramaturges de nos jours. Dans mon cas, je me dis que si l’Afrique a multiplié les échecs avec des hommes, son salut pourrait peut-être venir d’un nouveau regard sur la femme, qui a connu bien des déboires, et qui, aujourd’hui, rayonne encore. Je pense que la femme a beaucoup à nous apprendre à ce niveau-là. Tous mes personnages féminins sont extrêmement vifs, dynamiques. Ce sont des personnages sur lequel pèse peut-être le poids d’une responsabilité qu’elles n’ont pas choisi. Elles sont tellement brillantes, tellement douées chez moi, qu’à un moment donné on leur demande de porter les espoirs de l’enfant et de toute la communauté. C’est un véritable problème pour elles. Et je crois que c’est le problème aujourd’hui de la femme africaine moderne : doit-elle vivre pour elle ou alors doit-elle se sacrifier pour la communauté, pour les autres ? C’est le dilemme auquel sont confrontés la plupart de mes personnages. Faut-il faire ce choix de l’individuel, de la découverte de soi-même, de sa sensualité, de sa sexualité ou alors faut-il se priver, se contraindre au nom du plus grand nombre ? C’est une problématique qui se pose à l’africaine, qu’elle soit sur le continent ou ailleurs à l’étranger. La collectivité lui rappelle sans cesse qu’elle lui appartient ».

*L’Atelier du Plateau a une programmation théâtrale et musicale (avec expositions et débats) riche et régulière. Cf agenda. Rens. : 01 42 41 28 22.
**Trois des auteurs présents sont en résidence à Limoges.
///Article N° : 1072

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Les images de l'article
la jeune comedienne malienne Maïmouna Coulibaly en train de lire "Les travaux d'Ariane" © Soeuf Elbadawi
Koffi Kwahule, dramaturge, auteur de la mise en espace du texte de Caya Makhele, Les travaux d'Ariane. © Soeuf Elbadawi
Diaba Koita, la griotte de Kayes (Mali). © Soeuf Elbadawi





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