Faut-il parler de façon globale de la création artistique africaine contemporaine ?

Entretien de Jessica Oublié et Florent Souvignet avec Ousseynou Wade

Dakar, mai 2006
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Secrétaire général de la Biennale de Dakar, Ousseynou Wade revient sur les apports de Dak’art à l’art contemporain du continent africain et souligne la nécessité d’une approche critique et théorique de la création africaine contemporaine.

Comment s’effectue la sélection des artistes présents au sein de la sélection officielle de la biennale ?
Elle était assurée jusqu’en 2004 par le comité international de sélection constitué de professionnels proposés par le secrétaire général de la biennale et le conseil scientifique.
À la suite de l’édition 2004 de la biennale et sur la base des recommandations du séminaire d’évaluation, la décision de confier le contenu artistique de Dak’Art à un commissaire général a été prise. Toutefois, nous avons estimé utile de maintenir l’appel à candidature pour donner plus de chances à des artistes pas ou peu connus du commissaire de figurer dans la sélection. Cet appel à candidature ne remet pas en cause la responsabilité du commissaire général et de ses associés de présenter directement des artistes. La singularité pour l’édition 2006 de Dak’Art réside dans le fait que les candidatures individuelles sont soumises au même traitement que les propositions des commissaires. Elles ont toutes fait l’objet d’un examen par l’ensemble des commissaires à l’occasion d’une session de sélection à Dakar en janvier 2006.
Depuis 2005, vous travaillez à la rédaction d’un tout nouveau magazine appelé Afrik’arts. Comment ce projet est-il né ? Quels sont les liens qu’il entretient avec la biennale ?
Certains critiques, professionnels de l’art et moi-même avons pensé qu’il n’était plus suffisant de présenter des œuvres de la création contemporaine africaine simplement dans le cadre de la biennale. Nous voulions dès lors accompagner cette présentation en amont, pendant et en aval de chaque édition par un organe de réflexion et d’analyse. Notre réflexion s’élabore autour d’une mise en perspective théorique de la création contemporaine africaine par le développement d’une analyse critique présentée par des experts africains et occidentaux. Il y a une communauté intellectuelle en Afrique qui s’intéresse à la création artistique contemporaine mais qui n’a pas l’occasion de participer au débat sur cette création. Nous envisageons donc de créer des connexions avec ces personnes pour concentrer des apports théoriques permanents sur les courants, les tendances, les initiatives et révéler les différentes dynamiques artistiques qui peuvent émerger en Afrique. Cet outil de communication est réalisé avec le soutien de Africalia qui a tout de suite adhéré à l’idée d’accompagner la promotion de la création africaine à travers la publication d’un trimestriel spécialement consacré aux arts visuels en Afrique.
Quelle est la spécificité de ce nouveau support de communication dans le champ des revues d’art contemporain ?
S’il y a une production sur la création africaine contemporaine, elle est très peu connue et diffusée sur le continent. Dans le domaine de la couverture géographique, elle est très sectorielle. Les anglophones ont développé une critique plus abondante que les francophones. L’information sur la création africaine contemporaine doit dorénavant être produite aussi par les acteurs du continent africain. La revue se situe dans le prolongement de la biennale mais n’en est pas son illustration papier. Qu’est ce que le musée en Afrique ? Assurément, un espace singulièrement différent de sa version occidentale. Faudrait-il au préalable savoir de quel type de musée il est question ! Notre souhait est certainement la réalisation du projet de musée d’art contemporain. Cependant, une chose est de disposer de l’infrastructure, une autre est de la faire vivre par un programme apte à assurer l’adhésion des professionnels en particulier, du large public en général. Le rapport à l’œuvre n’est pas le même ici. L’éducation artistique, dans les programmes scolaires, l’information et la sensibilisation du public par une communication appropriée peuvent participer à entraîner plus d’intérêt dans la fréquentation du musée.
Quelle est la place qu’entend jouer Afrik’Arts dans les différents apports théoriques et criques de la notion d’art contemporain africain ?
Si nous avons connu par le passé de nombreux artistes qui se sont révélés à travers la sculpture, la peinture, aujourd’hui une nouvelle génération d’artistes excelle à travers l’installation, la photographie et la vidéo. Ne doit-on pas juger cette nouvelle dynamique qui est porteuse d’un tout autre discours ? Nous avons le devoir d’illustrer la capacité d’appropriation des nouvelles techniques par les artistes africains. C’est pourquoi, à l’avenir, Afrik’Arts développera des dossiers sur la pluralité des thématiques artistiques dans la création africaine. Nous ferons en sorte que ceux qui veulent écrire aient la possibilité de le faire pour participer aux débats sur la création contemporaine, sur nos sociétés et leurs évolutions. Faut-il parler de façon globale de la création artistique africaine contemporaine ? Ou n’est-il pas temps de mettre en apparence la complexité de ce secteur d’activités ? Dans une démarche de large couverture médiatique et théorique, nous ciblerons un certain nombre d’évènements et d’institutions qui nous permettront de traduire la densité de l’environnement des arts visuels en Afrique. L’enjeu consiste en la révélation de personnalités et en la création de réseau.
Pour cela, envisagez-vous de travailler avec des acteurs locaux comme Kër Thiossane ?
Dans le domaine des arts numériques, la biennale ne peut pas continuer à se développer de façon hermétique, alors qu’à Dakar et en Afrique, il y a des initiatives qui se développent et qui pourraient constituer des bases de collaborations fructueuses. Dak’Art Lab’devrait à court terme établir des liens étroits avec Kër Thiossane.
De nombreux artistes de l’exposition internationale n’habitent pas sur le continent africain. Et d’autres sont des métisses africains nés en Europe. Comment se définit selon vous l’identité africaine dans les arts plastiques ? Est-elle différente de l’identité artistique ? Au final, qu’est ce qu’être un artiste africain pour le comité de sélection de la biennale ?
J’ai vécu une situation assez particulière avec un artiste anglais d’origine sud africaine, Bruce Clarke (1). En 2002, il présente un dossier au comité de sélection internationale de la biennale. Il est retenu mais après vérification, il est constaté qu’il n’est pas né en Afrique et qu’il n’a pas la nationalité sud africaine. Ceci manifeste la complexité de la biennale et de sa sélection. Il me semblait regrettable d’exclure Bruce Clarke à cause de ce motif. Mais alors, qu’est ce qu’un artiste Africain ? C’est une question qui est beaucoup trop complexe. Prenons l’exemple de Zoulikha Bouabdellah qui vit actuellement en France et qui est née à Moscou. Sa démarche plastique questionne son africanité dans un dualisme des plus évidents. A contrario, des artistes occidentaux vivent en Afrique depuis longtemps et ont développé une forme d’africanité sur papier ou sur châssis. Ces artistes n’ont pas leur place actuellement dans la biennale, et pourtant ils ont leur mot à dire. Mais, de la même manière que nous organisons un espace pour les artistes de la diaspora, ne faudrait-il pas penser à consacrer un espace à ces artistes militant pour le droit à leur africanité.
À ce sujet, la biennale comporte une nouvelle catégorie dans la classification de certains artistes du In,  » la diaspora « . Est-ce une manière de signifier l’existence d’une autre Afrique ? Occidentale, latino-américaine ou encore caribéenne ?
La diaspora est une notion qui a beaucoup évolué. Elle fait penser pour beaucoup d’Africains aux populations d’origine africaine implantées depuis plusieurs siècles en dehors du continent. Les Africains américains correspondent bien à cette catégorie. Elle intègre aussi tous ces hommes et femmes qui pour des raisons diverses vivent et travaillent en dehors du continent
El Loko, Pelagie GBAGUIDI ou Jems Robert KOKO BI appartiennent à cette autre catégorie. Bruce Clarke aurait pu être présenté comme un artiste de la diaspora en 2002, il exposait alors comme  » artiste africain « . Mounir Fatmi qui a reçu cette année le grand prix Senghor, aurait également pu être logé dans la catégorie diaspora. Il en est de même de Michèle MAGEMA ou de Fatma Charif M’SEDDI.
Quels sont les apports de la biennale 2006 par rapport aux autres éditions ?
Cette année, nous avons eu le plaisir de travailler avec un commissaire indépendant, Yacouba Konaté, soutenu par un collège de commissaires issus de différentes régions d’Afrique. Alors que les lieux d’exposition des biennales passées étaient géographiquement dispersés avec un site principal situé dans la périphérie de Dakar, Dak’Art 2006 est retournée au centre-ville au sein de trois importantes structures (2) au lieu d’une. De plus, nous sommes passés de l’exposition de quarante-quatre artistes en 2002 à quatre-vingt-sept en 2006. Nous devons une part de ce travail à la multiplicité des partenaires financiers locaux (3) et étrangers (4) qui ont accepté d’adhérer à leur manière à cet évènement. Nous avons aussi jugé utile de prendre en considération l’opinion publique quant à la récompense d’un artiste du Off. C’est dans ce cadre que l’Union européenne a remis un prix à l’artiste élu par le public qui était cette année Mohamadou Ndoye Douts. On remarque que de plus en plus de jeunes et de personnes de conditions sociales différentes s’approprient les lieux culturels et les expositions. S’ajoute à cela que le Off a permis une réelle visibilité de la biennale, des artistes, et de la création artistique dans les lieux les plus divers de Dakar. Aujourd’hui, nous devons parvenir à aménager des espaces annexes de convivialité à côté ou au cœur des espaces d’exposition afin d’attirer le plus possible de Sénégalais.
L’artiste tunisienne Filali Aïcha, réclamait, au moment du colloque, la fin de l’attribution de prix, ancien modèle de gratification de l’artiste, pour donner place au développement de résidences d’artistes. D’autres s’insurgeaient contre l’éternelle absence d’un musée dédié à l’art contemporain. Tandis que Yacouba Konaté, insatisfait de son mandat, sollicitait à son tour, la nomination du futur commissaire général de la biennale, dès le 6 Juin 2006. Quelles doivent être les priorités de Dak’Art 2008 ?
La biennale nécessite beaucoup de travail et d’énergie. En terme de logistique et de mobilisation des moyens et non en terme d’exécution des programmes, il y a des conditions qui ne dépendent pas de nous. La principale difficulté rencontrée au cours de cette édition comme au cours des précédentes, réside dans l’absence de cadre juridique approprié pour une organisation de la nature d’une biennale d’art contemporain. J’avais pour projet, dès l’ouverture du Dak’Art 2006, de présenter le commissaire de Dak’Art 2008 afin qu’il prenne ses premiers repères et détermine son plan d’actions. Ce n’est que le séminaire d’évaluation de Dak’Art 2006 qui permettra de dire si la formule du commissaire est la plus pertinente. Il appartiendra à la tutelle, après, de valider les recommandations issues de ce séminaire. Le plus important maintenant, est de procéder à cette évaluation qui se tiendra avant la fin de l’année. En tant que secrétaire général de la biennale, j’ai besoin d’un regard critique et objectif sur la biennale, de la part des publics, journalistes, critiques et autres instances de légitimation. C’est cela qui permet de mieux prendre conscience des insuffisances et des lacunes afin de chercher les moyens de les corriger. Dak’Art 2006 a bien évidemment ses aspects positifs et négatifs. L’enjeu est d’apporter chaque fois les correctifs nécessaires pour répondre au mieux aux attentes des artistes, des professionnels et du large public. Souhaitons que le projet de musée d’art contemporain soit réalisé avant Dak’Art 2008

1. http://www.bruce-clarke.com
2. Musée de l’Institut fondamental d’Afrique noire, Galerie nationale, Maison de la culture Douta Seck.
3. Ministère de la Culture et du Patrimoine historique classé, Municipalité de Dakar, Sonatel etc.,
4. Fondation A.I.R Krems (Autriche), Thamgidi Studio Foundation des Pays-Bas, Fondation ALbers (USA), Fondation Blachère etc.,
///Article N° : 4582

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