Allia

De Janat Collet

...ou la naissance de la littérature rodriguaise…
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Premier roman publié d’un auteur rodriguais, Allia de Janat Collet, constitue peut-être un tournant dans l’histoire littéraire de Rodrigues, île du bout du monde qui a inspiré bien des auteurs mauriciens.

Rodrigues est la plus petite des trois îles de l’archipel des Mascareignes. D’origine volcanique, nantie d’un lagon deux fois supérieur à la surface des terres émergées, cette île de 109 Km2 se situe à 560 km à l’est de Maurice, presque isolée au milieu de l’océan Indien. Elle fait partie de la République de Maurice et jouit d’un statut d’autonomie depuis 2002.
Les 38 000 rodriguais, quasiment tous descendants d’esclaves, parlent essentiellement le créole mais utilisent le français dans une assez grande proportion, ce qui en fait le territoire francophone le plus à l’est du continent africain. L’anglais, langue officielle de la république, est très peu utilisé, sauf dans les institutions scolaires comme langue d’enseignement.
L’apparition de Rodrigues dans la littérature mondiale date de la parution en 1708 à Londres de l’ouvrage de François Leguat, Voyages et aventures de François Leguat et de ses compagnons en deux isles désertes des Indes orientales, classique de la littérature de voyage et l’un des tous premiers ouvrages traitant de la région (1).
Depuis, cette île magnifique a inspiré bien des auteurs mauriciens que ce soit sur le plan littéraire avec des auteurs de réputation internationale comme Jean-Marie Le Clézio (Le chercheur d’or, Voyage à Rodrigues) et Ananda Devi (Soupir) ou de réputation plus locale comme Thierry Château (Cité taule en 2002) et Christian Némorin (Mille petits quotidiens à l’île Rodrigues en 2006) ou sur un plan plus historique et ethnologique : Alfred North Coombes (The island of Rodrigues et The vindication of François Leguat), Chantal Moreau (Le solitaire de l’île Rodrigues en 2003), Lilian Berthelot (La petite mascareigne : aspect de l’histoire de Rodrigues en 2002). Mais aucun de ces auteurs n’est rodriguais d’origine.
Malgré cette série de titres, la littérature rodriguaise est probablement la plus récente de l’Océan Indien (2) et après deux siècles d’existence en tant que communauté humaine autonome, le corpus de textes d’auteurs rodriguais reste peu étoffé.
Le premier ouvrage paru à Rodrigues en 1979 est « un recueil de poèmes, réunis sous le titre significatif de « Rodrigues s’éveille », […] publié par l’Organisation l’an dernier avec une préface de Serge Clair et des illustrations d’A. Bégué… Rodrigues, la mal-aimée et la mal connue, veut enfin faire entendre sa voix longtemps paralysée (3) ».
Puis suivit en 1985, aux Editions de l’Océan Indien, Contes de Rodrigues, un recueil de contes signé de Jacques Edouard, devenu depuis le directeur local de la radio – télévision nationale (la Mauritius Broadcasting Company).
En 1999, l’association Ledikasyon pu travayer publie un ouvrage de comptines rodriguaises pour enfants issues du répertoire populaire.
Par la suite, en 2000, dans le cadre du projet BEFA soutenu par l’UNICEF, 17 historiettes de fiction ont été réalisées par les stagiaires avec l’appui des formateurs, imprimées sur place et distribuées à travers l’île (4).
En 2004, l’éditeur Vizavi sortait Tikoulou à rodrigues, un album pour la jeunesse illustré par Henry Koombes sur une histoire écrite par le jeune rodriguais Valentin Donzé.
Un an plus tard, l’étape suivante fut une anthologie de poèmes éditée par le Centre Nelson Mandela et intitulée Ode à la liberté (5).
Et ce fut tout…
Le faible niveau de vie des habitants, la faiblesse structurelle de la population, l’histoire particulière de cette petite île (marquée par une dépendance historique certaine envers Maurice) expliquent en partie cette situation. D’autres raisons sont directement liées à la chaîne du livre.
En matière d’imprimerie, l’île Rodrigues « a reçu sa première imprimerie qu’en 1980. Celle-ci sert surtout à imprimer le journal Le rodriguais, dont le premier numéro vit le jour le 23 décembre 1980. (6) » L’île ne compte que trois imprimeries qui ne travaillent qu’en noir et blanc et ne font, à l’exception des journaux locaux, que des travaux de ville.
En terme d’édition, Rodrigues ne compte qu’un seul éditeur, les éditions Payenke spécialisées dans l’édition d’ouvrages touristiques : Les délices de Rodrigues (2002), Guides de Rodrigues (2003), Rodrigues, le petit livre (2004), Guides de Rodrigues touristique (2005) et Guide de l’hébergement (2006). Si les ventes de ces ouvrages, tirées en moyenne entre 3 000 et 10 000 exemplaires, sont satisfaisantes, elles ne permettent pas d’en vivre aux propriétaires de Payenke – qui ont par ailleurs d’autres activités (7).
La différence est très nette avec la grande sœur mauricienne qui, premier pays de l’hémisphère sud où s’est publié un roman (1803), première île de l’Océan Indien à avoir abrité une presse (1774), constitue le premier territoire de la région en matière de production éditoriale. Le nombre d’écrivains, issus de cette petite île, reconnus et édités à Paris est légion.
La sortie en mai 2007 aux éditions mauriciennes Finmark de Allia, premier roman d’un auteur rodriguais, Jana Collet, constitue donc un événement dans l’histoire littéraire de Rodrigues. Son lancement régional lors du salon du livre de Port Mathurin, organisé par les Editions de l’Océan Indien, fut d’ailleurs couronné de succès.
Le roman s’attache à l’itinéraire d’une jeune fille dans sa famille d’adoption et traite d’inceste et de maltraitance au cœur d’une société longtemps repliée sur elle même. Il est écrit dans une langue française colorée, riche et pittoresque, marquée par une interaction permanente du créole.
L’auteur, Jana Collet, n’est pas une inconnue de la scène littéraire mauricienne. Enseignant le français dans un Collège au centre de l’île, elle participe régulièrement à des concours littéraires.
En 2004, elle a enlevé le prix féminin au concours national de littérature créole de Ledikasyon pu travayer et fut finaliste la même année d’un concours international de contes organisé par l’Alliance française de Port Louis, ce qui lui permit un voyage en France. Deux ans plus tard, elle remporta le prix spécial du jury à ce même concours de contes. Plusieurs de ces écrits ont été publiés dans des ouvrages collectifs : recueil du prix de l’Océan indien 2003, recueil des 10 mots de la francophonie 2003, le guide touristique Rodrigues, le petit livre en 2004 et Ode à la liberté : une anthologie de la nouvelle poésie rodriguaise en 2005.
Jana Collet a d’autres projets avec Finmark puisqu’en 2008 elle devrait sortir un ouvrage pour enfants : Coralie, à la découverte de l’île Rodrigues avec l’illustrateur Jean Paul Agathe.
Hasard des calendriers, la sortie nationale de Allia au Centre Culturel Charles Baudelaire, le 3 juillet, précèdera de quelques jours la présentation au public du superbe film documentaire Les accords de Bella de David Constantin sur la tradition de l’accordéon à Rodrigues.
Ces deux évènements permettront au public de se pencher sur les traditions culturelles de cette île attachante, un peu oubliée par l’Histoire et à laquelle l’image de belles plages de sable fin a trop longtemps collé à la peau…

1. Il avait été précédé en par l’impression de l’ouvrage de Etienne De Flacourt en 1658, Histoire de la grande isle Madagascar
2. Pour plus d’informations au sujet des premiers essais littéraires à Rodrigue, cf. Rodrigue, l’île désirée, Centre de recherche india – océanique, 1985, Saint Leu (Réunion).
3. Robert Furlong, Voix rodriguaise in Journal of the Mauritius institute of education, no. 3, avril 1979.
4. La brochure Education de base pour adolescents : Rodrigue rend compte de ce projet et donne la liste illustrée des publications.
5. Ode à la liberté ; une anthologie de la nouvelle poésie rodriguaise, 2005, édité par le Centre Nelson Mandela et par la Commission des arts et de la culture de Rodrigue. ISBN 99903-904-7-9.
6. Toussaint Auguste, La diffusion de l’imprimerie dans l’Océan Indien in Le mouvement des idées dans l’Océan indien occidental, Actes de la table ronde de Saint Denis, 22-25 juin 1982. Toussaint ne parle pas de l’île Rodrigue dans son ouvrage phare : Early printing in the mascarene islands 1767 – 1810 !!
7. Pour une présentation de la famille Baptiste, voir Géo N°298, de décembre 2003.
Allia, Jana Collet, éditions Finmark, mai 2007///Article N° : 6637

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