La Bibliothèque associative internationale d’art moderne et contemporain de Rabat : Un espace collectif d’ouverture sur le monde

Entretien de Jessica Oublié avec Philippe Cazal, artiste et initiateur du projet

Juin 2007
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En septembre 2007, La Bibliothèque associative internationale d’art moderne et contemporain de Rabat, située en centre-ville, au 5 bis rue du Caire, ouvrira ses portes aux chercheurs. Avec les 600 ouvrages reçus d’une première collecte, les initiateurs de ce projet ambitionnent de doter au fur et à mesure le Maroc d’une documentation sur l’art moderne et contemporain de qualité. Ils veulent faire de cette bibliothèque un centre de recherche actif, où l’art international, sous toutes ses formes soit représenté, où la réflexion des chercheurs et des amateurs sur les enjeux de l’art du XXe et du XXIe siècle et sur les positionnements des artistes d’hier et d’aujourd’hui soit encouragée.

Comment est né le projet de création d’une bibliothèque à Rabat ?
Au cours du colloque « L’Œuvre plus que jamais », organisé par Abdellah Karroum à Casablanca en 2005, le projet de création d’une bibliothèque a été lancé. La rencontre avec quelques étudiants de l’école des beaux-arts, et aussi avec des artistes marocains, a mis en évidence leur vif intérêt pour l’art contemporain et une forte demande d’information sur l’art international. J’ai proposé à l’issue du colloque, de créer cette bibliothèque associative hors des institutions. Avec la complicité des artistes Fouad Bellamine et Hassan Darsi et du commissaire d’expositions Abdellah Karroum nous avons rapidement acté ce projet. Puis, avec le soutien d’un large comité de parrainage franco-marocain, artistes, conservateurs, commissaires d’expositions et amateurs, nous avons cadré cette perspective avec l’ambition de doter des outils nécessaires les chercheurs, artistes, critiques, philosophes et amateurs d’art.
Aujourd’hui, deux ans après, nous disposons d’un local, plus de 600 ouvrages en rayon et nous projetons d’en avoir 4000 ou plus dans les trois ans à venir.
Sur quelle base s’est constitué le fonds de la bibliothèque ?
Il nous semblait difficile de réunir des ouvrages très rapidement tout en restant indépendant des institutions. Nous avons donc opté pour une collecte progressive qui a commencé par quelques appels aux proches et amis artistes. Ce projet ambitieux a connu un élan particulier grâce au soutien généreux de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, et aussi de celui de centres d’art, d’associations ou de musées : comme le Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq, le Museum of Modern Art (MOMA) de New-York ; la Fondation Cartier pour l’Art contemporain ; le Fonds national d’art contemporain (FNAC). La revue Multitudes et d’autres ont rapidement répondu à notre demande.
Collecter des livres s’est avéré une mission plus aisée que prévu, cette initiative suscitant intérêt et enthousiasme tant auprès des particuliers que des institutions.
Le problème qui s’est rapidement posé à nous était la logistique pour centraliser les dépôts et le stockage des ouvrages avant leur acheminement au Maroc. Le directeur de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, Henry-Claude Cousseau, nous a prêté un local. Ainsi les donateurs peuvent s’adresser à Philippe Ricchiero, à l’École des Beaux-arts, aux heures d’ouverture de la librairie, qui réceptionnera amicalement les ouvrages.
Vous n’avez donc eu aucun autre partenaire pour vous aider dans votre démarche ?
Si bien sûr. Les livres que nous avons emballés l’été dernier et mis dans des boîtes, ont voyagé par la valise diplomatique. Pour le transport, nous avons été soutenus généreusement par la Division de l’écrit et des médiathèques du Ministère des affaires étrangères à Paris. Dans notre fonctionnement et dans la réalité de notre « entreprise », nous sommes et tenons à rester une association ! Cette bibliothèque et les projets de son développement ont connu un essor né de l’émulation franco-marocaine. Grâce à l’intervention généreuse d’Ami Barak, un des parrains de l’association, nous avons obtenu une aide conséquente de 20 000 € de la Fondation Fourtou à Marrakech. Cette subvention est renouvelable chaque année. Elle nous permettra de créer et de mensualiser un poste de bibliothécaire, d’acheter du matériel informatique, une photocopieuse et de créer un site.
Entre le Maroc et la France, comment organisez vous la gestion du projet ?
Le comité de parrainage de notre association est constitué d’artistes et d’amateurs d’art enthousiastes qui ont décidé de la soutenir par leur savoir et leurs compétences respectives. Il y a des artistes (Fouad Bellamine, Hassan Darsi, Mohamed El Baz, Marylène Negro, Marie-Ange Guilleminot, Yan Pei-Ming, Daniel Buren, Jean Daviot, etc.), des critiques d’art et des commissaires d’expositions indépendants (Abdellah Karroum, Pascale Le Thorel, Ami Barak, Nadine Descendre, Élisabeth Couturier, Florence Renault, etc.). Le collectionneur Daniel Bosser. Une médecin, des anthropologues, des poètes, des professeurs font désormais partie de cette aventure. Le directeur de la bibliothèque de Rabat est lui aussi très intéressé et propose de nous confier la gestion et l’organisation de conférences et d’expositions dans le cadre de son établissement. Par ailleurs, une personne va s’occuper de la gestion de la bibliothèque, elle mettra en fiches tous les livres avec un logiciel informatique adapté pour le classement et la préparation des données sur notre futur site internet. En définitive, les rôles ne sont pas attribués, chacun trouve sa place en fonction de ses compétences et de l’énergie qu’il peut investir dans le projet.
Pourquoi avoir décidé de vous installer à Rabat ?
L’artiste et ami Fouad Bellamine nous a prêté son ancien appartement qui est devenu aujourd’hui le siège de la bibliothèque. À l’origine, il nous a semblé urgent de participer à une émancipation de la recherche et de la critique d’art au Maroc. Les intellectuels marocains ont certes voyagé, développé leur point de vue critique sur le monde, même s’il a toujours été complexe d’obtenir de la documentation sur place. Quant aux étudiants des écoles des Beaux-arts, ils ont difficilement accès à l’information. Comme les livres sont chers et rares, les professeurs, qui sont souvent les seuls à en disposer, ont tendance à les conserver pour eux-mêmes comme outils de travail. La situation de laisser aller, à la fois bordélique et sympathique dans laquelle se font et se défont tour à tour la chose culturelle et artistique, va à l’encontre d’une mouvance contemporaine générale professionnalisée.
Cette bibliothèque naît donc d’une réflexion concertée sur la place de l’enseignement de l’art au Maroc et sa perception plurielle. Nous voulons en faire un lieu de rencontres entre les artistes des pays du Nord et du Sud. À Rabat, nous voulons créer un espace d’ouverture sur le monde, un peu alternatif, et surtout collectif. Le modèle idéal de ce projet : devenir un centre de recherche, une grande bibliothèque sélective, comme la bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou à Paris…
Comment s’organisera la bibliothèque ? Quel sera son public ?
Nous avons aménagé des étagères pour les 4000 ouvrages que nous espérons rendre accessibles dans quelque temps. Pour l’instant, nous mûrissons des thématiques de rencontres et conférences sur l’édition et le livre d’art, et réaliserons certainement de petites expositions monographiques ou thématiques en présence des artistes. Mais la particularité de ce lieu est sans nul doute sa partie résidence. En effet, nous avons aménagé une chambre pour accueillir un chercheur ou un artiste le temps de la réalisation d’un projet personnel. Nous nous sommes appuyés sur un réseau de bibliothèques et de lieux universitaires pour diffuser l’annonce de l’ouverture de la bibliothèque. Ainsi, nous avons convenu qu’il était nécessaire de donner la priorité aux personnes investies dans le monde de l’art, de la recherche et de l’enseignement. C’est pourquoi la bibliothèque ne sera pas ouverte à tous et à toute heure. Son entrée ne se fera que sur rendez-vous. Les livres ne pourront pas être empruntés. Tout ceci peut paraître bien strict, mais nous voulons réellement instaurer un climat de confiance tout en attendant de nos lecteurs exigence et respect.
De quel type de livres disposeront vos lecteurs ?
La collection s’est constituée dans le but d’offrir une meilleure information sur l’art international. Monographies, catalogues d’exposition, écrits d’artistes, essais, livres d’histoire de l’art et d’esthétique composerons nos collections. Mais si la collecte nous a dans un premier temps permis de constituer les bases de notre fonds, nous avons actuellement affaire à des creux thématiques et historiques. Nous comptons de nombreuses monographies, mais très peu d’ouvrages généraux sur les grands mouvements tels que le Pop Art, l’Art minimal, l’Art conceptuel, Les Nouveaux Réalistes, la Figuration narrative, etc., et les grandes figures qui les ont faits. À terme, nous serons amenés à réfléchir à un autre mode de constitution afin de réguler les écarts et les manques.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le FNAC vient de nous faire un don de 120 ouvrages. D’autres collectionneurs et amateurs nous ont contactés pour nous offrir les livres qu’ils ont en double tout comme un designer contemporain se propose d’effectuer un don dans ce domaine. Nous songeons à réaliser des dossiers sur des artistes et à obtenir des multiples pour initier des expositions dans les écoles. La bibliothèque associative internationale d’art moderne et contemporain de Rabat est un projet en roue libre, qui veut se donner le temps de mener à bien ses objectifs ambitieux pour la simple raison qu’elle n’a pas d’équivalent au Maroc.

Renseignements pratiques pour faire un dépôt de livres :
Vous pouvez contacter Philippe Ricchiero, chargé de la librairie de l’École des Beaux-arts de Paris au 00 33 1 47 03 50 70. La librairie, située au 13 quai Malaquais, 75006 Paris, est ouverte tous les jours sauf le lundi de 13h à 19h.
Mais attention, pour expédier un colis par envoi postal, vous devez l’adresser à :
Philippe Ricchiero – Librairie de l’ENSBA
à l’attention de « La Bibliothèque associative de Rabat »
14 rue Bonaparte, 75272 Paris cedex 06.
Vous pouvez également envoyer un mail à [email protected] pour l’informer de la date et de la liste des ouvrages que vous souhaitez déposer ainsi que lui transmettre vos coordonnées.
Pour en savoir plus //africultures.com/fichiers/DP_Bibliotheque_Rabat.pdf///Article N° : 6675

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