Peut-être

De Jean-Paul Delore, Bill Kouélany

Rencontres de femmes aux portes de leur vie
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« Finalement, je n’ai rien compris.
C’est le téléphone. Il y a des problèmes de réseau le dimanche soir. Ils doivent délester.
Qu’est ce que c’est ? J’ai entendu un bruit inaudible, comme un chiffon qui tombe d’une étagère. Surtout, le ne ramasse pas. »
Après sa création à Maputo en février 2007, la pièce Peut-être se présente comme les portraits de six femmes insatiables évoluant sous le joug de la passion et de l’ivresse, de la colère et de l’envie. Destins croisés sur fond de perturbations sonores et d’interférences vocales.

Après « Affaires Étrangères » (2004) et un Grand Silence Prochain (2006), Jean Paul Delore délaisse les rapports Blanc/Noir pour un huis clos imagé sur le destin de femmes. Six femmes venues du Mozambique (Assucena Manjate, Eronia Malate), du Congo (Big Sandra, Stella Loko), du Japon (Yoko Higashi) et de la France (Marie-Paule Laval) se croisent et se décroisent au carrefour de leur quotidien qui sonne comme une valeur absolue. Dès que le rideau se lève, il s’ouvre sur des histoires vécues ou à vivre embarquant chacune dans un voyage intérieur. Les corps, les formes, les couleurs et les humeurs se mélangent comme si, mine de rien, il fallait de tout pour faire un monde.
La mise en scène s’installe entre un piano, un synthétiseur et des bâches à l’allure totémique, comme un soupçon d’imprévisibilité. De l’électro aux chants africains, des assouplissements aux danses chorégraphiées, des robes en ciré fleuri au look sportswear, du japonais au français, les différences s’emboîtent pêle-mêle et se prêtent comme un relais au sein d’une même équipe. Magique sont les moments où l’une des comédiennes répond en portugais à sa compagne de voyage qui l’interroge en ngala. On en oublie presque le cadre des Francophonies… Mais peut-être est-ce cela aussi, une échappée belle de langues dans une utopie bavarde et volubile où tout ne serait que prose et poésie.
De toute évidence, les liens entre écriture, images, chants, danses et musique sont les entrefilets d’une même cause et non d’une même trame. Car en interrogeant Delore sur sa pièce, il répond qu’il n’y a pas de trame « au sens de la narration. Tout est organisé autour des portraits de ces femmes. Ce qu’on a envie de raconter quand une femme est seule, quand elle est entourée d’autres femmes, ce qu’elles dégagent. Ce sont comme des petits contes philosophiques où l’on retrouve parfois des moments de cauchemars, de rêverie, de solitude, de détente… (1) » Le projet est de mettre en exergue les problèmes de communication qui expliquent que « les gens se croisent, mais ne restent pas » comme l’indique Bill Kouélany, scénographe de ce patchwork de scènes de genre, plus ou moins graves, plus ou moins existentielles.
Alors les mots pèsent dans les bouches et se muent parfois en cri à mesure que les échanges s’amorcent. « Ce qui est important, c’est ce que je ne pense pas et qui revient toujours sur moi  » s’écrie l’une des comédiennes en mal d’identité, en quête d’un lointain passé. Finalement, tout devient comme ce « lapin qui s’est noyé dans le jardin ce matin« , une perturbation de langage, un paysage chaotique, une anomalie familière. En ce début de XXIe siècle où les formes de communications se sont complexifiées, les élucubrations de ces six femmes peuvent avoir l’air de SMS sans destinataires, perdus dans le cyberespace. De dialogue en dialogue, il faut tendre l’oreille, car si sur scène les comédiennes peuvent jouer aux sourdes, elles exposent avec brio la difficulté à échanger aujourd’hui. Les interrogations sur la sexualité, la maternité ou encore la place à prendre par chacun dans le monde sont autant de thèmes qui sonnent comme des claques sur le visage.
Mais visiblement, chacune trouve sa place en se faisant l’écho de la précédente ou même la voix de la discorde. Le tout, peut-être, pour se réclamer d’une vie écorchée et partagée dans un savant mélange de confessions collectives. Le présent nous échappe si bien que tout se passe avec ou sans nous. Et si « tous les hommes naissent assortis d’une certaine tristesse« , tout reste possible défait de l’illusion qu’être une personne, n’est pas être quelqu’un…
Mais alors, « qu’est ce que ça dit ?« . Peut-être est une belle invite au temps du souvenir. Le mode d’emploi : enlever les habits de l’enfance pour seulement conserver les saveurs de ses réminiscences et puis chuchoter ou crier avec rage et ardeur son appétence du présent, son désir de futur. Ainsi, « c’est pour ça  » revient comme un doux refrain auquel le spectateur doit adhérer sans broncher car de toute façon, « ceux qui demandent pourquoi sont des sophistes« . Disons que le texte, s’il en est un, est un exercice de provocation, la mimesis du zapping continuel et constitutif de nos relations actuelles. En fait, « il n’y a jamais de vrai silence » seulement des choses à penser et puis parfois à dire quand on s’en sent le courage. Comme toutes les pièces au caractère bien trempé, on aime Peut-être ou on la rejette, mais dans les deux cas, pour le savoir, il n’y a pas mieux que d’aller la voir.

1. Interview de Jean Paul Delore réalisé par Céline Haudréchy pour les Francophonies en Limousin 2007Texte : Jean-Paul Delore, Bill Kouélany
Mise en scène : Jean-Paul Delore, assisté de Isabelle Vellay
Avec : Big Sandra, Yoko Higashi, Marie-Paule Laval, Stella Loko, Eronia Malate, Assucena Manjate
Musique : Guy Villerd, Chico Antonio, Yoko Higashi
Costumes : Catherine Laval
Scénographie : Bill Kouélany
Vidéaste : Panu Kari
Lumières : Patrick Puechavy
Régie lumière : Claude Fontaine
Régie son : Fréderic Minière
Régie générale : Guillaume Junot
Traduction des textes : Pedro Da Fonseca
Interprète : Fatima Bernardo
Du 10 au 20 octobre 2007/ Représentations au Théâtre Paris Villette
Du 5 au 17 novembre 2007/ Représentations au Théâtre Paris Villette
Les 23 et 24 novembre 2007/ Représentations à l’Espace Jules Vernes de Brétigny sur Orge.
Les 29 et 30 novembre et 1er décembre 2007/ Représentations au Forum du Blanc Mesnil
Du 6 au 0 décembre 2007/ Représentations au Nouveau Théâtre du Huitième (Lyon)///Article N° : 6973

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Les images de l'article
"Peut-être" - Répétition au Théâtre du Cloître à Bellac - 24e Francophonies en Limousin © Patrick Fabre





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