« Par la force des choses, je suis devenu un documentariste activiste »

Entretien de Jessica Oublié avec George Osodi

Dokumenta de Kassel, juillet 2007
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Reporter pour Associated Press News de Lagos, George Osodi arpente le monde en quête de sujets qui font échos à ses obsessions : la politique, les conflits, les scènes de vie. Ce jeune photographe nigérian né à Lagos en 1974, arbore un regard sobre et inquiétant, esthétique et mimétique sur une Afrique parfois de feu et de flamme. Son appareil argentique autour du cou, Osodi sillonne les territoires en guerre du continent et d’ailleurs. Il fixe sur sa pellicule les vallées enflammées du Niger, portraiture les joueurs de foot estropiés du Burkina Faso et immortalise des festivités comme l’Argungu, festival annuel du poisson au Nigéria.

Homme de terrain, il arbore un sourire léger qui ne dissimule pas totalement le danger des combats qui sont les siens. Le 1er juillet 2003, après une manifestation organisée à Abuja (capitale fédérale du Nigéria) par le National Labour Congress (NLC, principale confédération syndicale), George Osodi est l’un de ces trois journalistes passés à tabac par la police. Discret sur les répressions qui pèsent sur les reporters en Afrique, il préfère parler des images qu’il vend entre autres à la BBC, l’AFP, le Guardian de Londres, CNN, USA Today, le New York Times etc. Des photographies qui traduisent notre monde contemporain…
Il y a encore sept ans, vous n’étiez pas dans les circuits officiels de la photographie internationale. Comment s’est passée votre sélection pour la Dokumenta 12 ?
J’ai eu l’occasion de présenter mes travaux lors de quelques expositions notamment au Musan Center de Lagos puis au Lagos Bomb Plast, au Nimbus Arts Gallery Center mais la Dokumenta est le premier rendez-vous international auquel je participe. Roger Buergel, commissaire de la Dokumenta 12 cherchait de nouveaux artistes africains et le photographe nigérian Akinbode Akinbiyi qui vit actuellement à Kassel lui a transmis mon contact. Roger s’est rendu à Lagos où je lui ai présenté quelques-unes de mes séries comme Liberia after war (2 005), Sierra Leone war victims (2006), Nigeria Oil rich Delta (2006) etc. Il est reparti avec une cinquantaine d’images et c’est finalement les photographies du Delta qui ont retenu son attention. Bien qu’excité à l’idée de participer à cette grand’messe de l’art, j’étais anxieux de ne pas connaître la destination de mes images. Je voulais les accompagner jusqu’au bout afin de pouvoir parler d’elles. Alors il y a quelques mois, Ruth Noack, co-comissaire et épouse de Roger, m’a envoyé une invitation. Dans ces conditions, je pouvais insuffler une nouvelle dynamique à mes travaux. L’important pour moi était de pouvoir les installer dans un débat critique du milieu de l’art international même si ce n’est pas lui qui généralement évalue mes photographies.
À la différence des autres photographes présents, vous avez choisi de présenter vos œuvres sur le mode du diaporama. Pourquoi ?
En février 2007, quand Roger m’a contacté, il m’a demandé de faire une sélection, ce à quoi je n’ai pas pu me résoudre. Après réflexion avec l’équipe curatoriale, il nous a semblé que la centaine d’images que nous avions n’était pas suffisante… Après cela, il fallait trouver un moyen de pouvoir les exposer. Ne s’agissant pas d’œuvres d’art, je ne voulais pas les exposer proprement sur un mur blanc. Le diaporama était idéal pour traduire le temps auquel se rapportent mes photographies. L’enchaînement saccadé des deux cents photographies fait référence aux « breaking news ». Ainsi, la mémoire d’une photographie disparaît au profit d’une nouvelle information, d’une nouvelle image. Cet aspect de mon travail est primordial car je ne suis pas un artiste. Je suis avant tout un photographe !
Quels constats tirez-vous de vos expérimentations à Lagos ?
Disons que si l’État et les politiciens ont généralement le devoir de prendre soin de leurs concitoyens, il n’en est rien au Nigeria ! Dans mon pays, il n’y a pas de pouvoir central fort ce qui a permis à l’anarchie de s’installer sans être dérangée. Toute la structure sociale se définit par la corruption. J’ai cessé de croire que l’État avait le pouvoir de tout résoudre. J’ai donc décidé de prendre mes responsabilités là où je le pouvais. Et par la force des choses, je suis devenu un documentariste activiste. Cette conscience politique radicale fait que chacune des images que je shoote est un morceau de réel. Au fil de mes séries, je dresse une vaste cartographie de la situation actuelle des états africains.
En quelque sorte, la politique est votre leitmotiv ?
Quand j’ai commencé la photographie il y a sept ans, je ne faisais rien et les politiciens non plus. À un moment de sa vie, chacun d’entre nous se pose la question de savoir la place qu’il veut occuper dans le monde et comment il peut le faire. J’ai alors décidé de m’engager et la photographie m’est apparue comme le médium d’une expression sensitive. Au fil de mes pellicules, elle est devenue une arme privilégiée pour répondre au combat auquel je souhaitais activement participer. J’ai ainsi réalisé des clichés de militants lors de protestations, des soldats armés, des populations défavorisées etc.
Selon vous, vos photographies dans les médias font-elles évoluer les consciences ?
Mes images sont régulièrement publiées dans les médias et les magazines au Nigéria comme le Comet Newspaper. Elles sont également utilisées pour illustrer les informations télévisées notamment de TV Station in Nigeria et BBC Focus on Africa Magazine. J’ai envie de croire que tant que mes images ne seront pas instrumentalisées, tant qu’elles seront vues comme je vois ces morceaux de vie que je photographie, alors elles feront sens. Pour autant, j’ai aussi envie de défendre cette casquette d’artiste qui me permet de présenter mon travail au sein de nouvelles tribunes comme Kassel. De façon générale, je dirais que mon travail est apprécié comme il se doit puisqu’il retient l’attention, suscite le débat sur la situation politique au Nigeria et ses conséquences sur la vie des habitants. Cette réception critique favorable m’offre la possibilité d’évoluer dans ce que je fais le mieux avec les moyens qui sont les miens. En fait, je change progressivement de média. Mon appareil photo me suit partout où je vais, mais la vidéo m’ouvre la voie à un autre degré de réel. Cet âge d’or de la technologie et des nouveaux médias est aussi le mien et je ressens actuellement le besoin de m’émanciper avec lui pour faire évoluer mon message.

///Article N° : 6983

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Les images de l'article
Shell Gass Flare Delta © George Osodi
Sharia judgement
Barbers shop © George Osodi





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