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Au Cameroun, une forte présence malgré des difficultés

La caricature occupe une place de choix dans l'univers médiatique camerounais. Mais l'enthousiasme observé chez les dessinateurs de presse avec le vent de la libéralisation des années 90 semble être retombé, malgré les tentatives de regroupement et leur volonté d'affirmation de leur profession.


Augustin Ndjoa


De nombreux vestiges témoignent de l'ancienneté de la pratique des arts plastiques au Cameroun. Toutefois, il faudra attendre 1974, quand naît le "grand quotidien d'information" Cameroon Tribune, pour voir apparaître les premières traces du dessin de presse dans ce pays. Sous la plume de Tita'a, ce sont des dessins noirs très simples, loin du style plus accompli de Louis Marie Lemana qui lui succédera trois ans plus tard. Ce dernier laissera la place, une dizaine d'années après, à Jean Florent Goawé (Go'away) dont le ton espiègle et le trait plus raffiné impressionneront les lecteurs.
Ce sont ces trois personnages qui ont posé les jalons du dessin de presse au Cameroun, dans un contexte monolithique, tous au service d'un média d'Etat dont les exigences éditorialistes ne laissaient pas libre cours à une véritable satire des institutions et de la vie publique. Néanmoins, ils se sont attachés, ainsi que le disait un auteur contemporain "à déchiffrer la société, à démontrer les véritables ressorts du fait divers, souvent avec l'humilité des chercheurs en sciences humaines et toujours avec les exigences d'observateurs de terrain". Au moment de la libéralisation de la presse, ils seront rejoints par une pléthore de caricaturistes.
Ces derniers, souvent assimilés à des journalistes, parfois considérés comme de simples auxiliaires de presse, ont toujours souffert de l'absence de statut pour leur corps de métier. La difficulté réside déjà dans la définition des critères qui font de telle ou telle personne un caricaturiste, vu l'absence d'écoles ou d'instituts de formation dans ce domaine. Même la filière Arts Plastiques et Histoire de l'Art créée en 1993 à l'université de Yaoundé I, n'a prévu aucun programme à ce sujet. Le caricaturiste camerounais semble n'être que celui qui a l'art de déformer les traits ou, plus simplement même, un dessinateur exerçant dans l'un ou l'autre des organes de presse qui pullulent dans le pays depuis la libéralisation de l'audiovisuel.

La libéralisation de l'audiovisuel : un nouveau contexte


Bien avant 1992, année qui consacre la libéralisation de la vie publique au Cameroun, un autre organe de presse s'est fait remarquer aux côtés de Cameroon Tribune, à savoir Le Combattant, journal privé où JP Kengne et Nyemb Paul officieront comme caricaturistes. Suivront ensuite de nombreux journaux privés qui mettront en orbite des dessinateurs plus ou moins pétris de talents, à l'instar de Gaby, Abou, Achille Nzoda, Bess, El Pacho, Almo, Jaimes, etc. Tous semblent s'opposer par leur ton et leurs "coups de griffe" à leurs prédécesseurs de Cameroon Tribune. Mais, à cette époque, c'est Le Messager Popoli qui apparaît comme le journal satirique par excellence. Ici, règne en maître la critique acerbe des institutions, des gouvernants, du politique. Gloire aux images osées, aux idées espiègles, au désir d'affirmation de la fougue juvénile ; l'inspiration rime avec liberté. Aujourd'hui devenu tout simplement Le Popoli, il rassemble encore l'essentiel des dessinateurs de presse du pays. Ses confrères Mamy Wata du groupe de presse La Nouvelle Expression ou Le Porc-épic, nés bien après, ayant disparu du paysage médiatique camerounais, visiblement pour des problèmes de financement et non à cause d'une quelconque répression de la part du pouvoir, comme on pouvait le croire.
En réalité, la disparition de ces deux journaux satiriques a eu pour conséquence la diminution du nombre de caricaturistes exerçant au Cameroun. Tout s'est passé comme si, n'ayant plus de tribune où s'exprimer, les nombreux caricaturistes des années 90 ont, pour la plupart, abandonné le métier pour chercher ailleurs quelques moyens de subsistance. Les reconversions ont été spectaculaires. Certains, à l'instar de Gaby, se sont volontairement exilés, d'autres, comme Jaimes et Almo tentent l'aventure de la bande dessinée. Seuls exercent encore Abou, dans La Nouvelle Expression, Rétin à Cameroon Tribune et Nyemb Paul qui, avec son journal Le Popoli, offre un cadre d'expression plus libéral à des jeunes gens qui, ayant pratiquement élevé les plus anciens au rang de démiurges, continuent de fonder leurs espoirs sur les jalons posés par ceux-ci pour relever leur profession.

Coup d'Crayon et Fescary : des rencontres tous horizons


À la fin des années 90, une dizaine de dessinateurs de presse, sous la houlette de Nyemb Paul, avant son exil sud-africain, se sont regroupés au sein de l'association Coup d'Crayon. Objectif : créer un cadre de rencontre et d'échanges non seulement entre les caricaturistes du pays, mais aussi avec ceux d'Afrique ou d'ailleurs. En outre, le but plus ou moins avoué de cette corporation de dessinateurs était de reconnaître et de définir ceux qui devaient mériter la qualité de caricaturiste. Plusieurs "conventions" ont été organisées, regroupant essentiellement les grands noms de la caricature que compte le pays (Popoli, Rétin, Jaimes, Abou, El Pacho, Almo, Achille Nzoda), avec des invités ou des conférenciers de renommée internationale à l'instar de Paul Russel des Etats-Unis, président de l'Association internationale des dessinateurs de presse, de Joël Pett, grand prix Pulitzer, ou de Mrs Eddings, secrétaire générale du Freedom Forum basé en Afrique du Sud.
Au cours de ces "conventions", les caricaturistes sont régulièrement édifiés sur leurs droits et obligations, sur l'importance de leur rôle tant au sein des rédactions que dans la société tout entière. Elles ont ainsi permis de jeter les bases d'une collaboration franche entre les dessinateurs de presse de tous les horizons, laquelle devait s'affermir avec l'organisation annuelle des festivals de la caricature.
En effet, un groupe de communicateurs, réunis sous la bannière de l'association Irondel, organise tous les ans, et ce depuis 1999 des festivals de caricature à Yaoundé. Reprenant à son compte l'essentiel des motivations du groupe Coup d'Crayon, Irondel programme de véritables forums de caricatures auxquels participent non seulement les caricaturistes camerounais et étrangers, mais aussi de jeunes artistes dessinateurs et parfois même de simples sympathisants. L'expérience s'avère intéressante car, au-delà du côté pratique de ces rencontres, l'ampleur des échanges entre caricaturistes venus d'horizons divers révèle l'engouement de la jeunesse camerounaise pour ce genre journalistique.
À l'issue du Fescary 2000, le célèbre caricaturiste français Plantu du journal Le Monde déclarait : "j'étais venu pour leur apprendre le métier, mais je me rends plutôt compte que j'ai beaucoup appris." Bien avant lui, Wolinsky de Paris Match et plus récemment Tignous de Marianne, le Canadien Paul Roux et Wilhem ont reconnu l'originalité de la démarche des caricaturistes camerounais.

Caricature et nouvelles technologies


En ce qui concerne les nouvelles technologies de l'information et de la communication, les caricaturistes camerounais sont toujours à la traîne. Peu d'entre eux sont formés à l'outil informatique ou possèdent un ordinateur. Ici, crayon et gomme ou papier bon marché sont la règle. Conséquence : les artistes demeurent étrangers à tout ce qui concerne ou concourt à la production des dessins animés pour la télévision nationale par exemple.
A noter qu'officiellement, il n'existe aucun site permettant d'obtenir des informations relatives à la caricature au Cameroun. Irondel ne dispose que d'éléments ponctuels sur la tenue des divers festivals et l'association Coup d'Crayon ne fournit pas à l'internaute les informations concernant ses membres, ses structures, son fonctionnement.
La caricature est donc une réalité bien vivace au Cameroun. Malgré leurs conditions de travail rudimentaires et une rémunération des plus déplorables pour la plupart, les caricaturistes camerounais qui subsistent se battent pour sortir de l'ornière, et continuer à se faire une place honorable dans l'univers des médias.





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