Pov (William Ranaivoson) est un phénomène dans le milieu des caricaturistes d'Afrique. Après avoir connu la réussite dans son pays, Madagascar, et avoir publié deux recueils de ses meilleurs dessins de presse, il n'hésite pas à aller s'installer à l'Île Maurice en 2006, le pays d'origine de son épouse. Là aussi, le succès l'attend, avec à nouveau deux recueils annuels (2006 et 2007) publiés par son journal, L'Express. Pov devient le caricaturiste vedette du paysage politique mauricien tout en continuant de dessiner pour les médias malgaches. Mais Pov, créatif à cheval entre deux pays et deux univers, connaîtra surtout le succès avec L'Île Maurice racontée à mes petits enfants, qu'il met en image sur un texte de Jean Claude de L'Estrac. Cet album est considéré comme le plus gros succès de librairie de l'année 2008.
Comment êtes-vous devenu dessinateur de presse ?
J'ai publié mes premiers dessins en 1995, dans un mensuel malgache appelé Ilampy. Le journal était plutôt consacré au milieu rural. La politique agricole reste d'actualité pour un pays où le socle de la société et l'économie reposent quasiment sur les paysans et l'agriculture. J'abordais donc ce thème particulier en essayant de montrer le contraste entre la vie citadine et la vie que pouvaient vivre les ruraux bien détachés de ce que nous pouvons vivre nous, dans la capitale.
Auparavant, deux de mes esquisses sur la crise politique en 1991 ont été reprises par un ami dessinateur de presse, qui les a publiées dans un quotidien, à l'époque. Mais c'est en juin 1997 que j'ai vraiment commencé à exercer le métier de dessinateur de presse, en intégrant le quotidien Midi Madagasikara. J'ai alors commencé à dessiner quotidiennement pour ce journal jusqu'en septembre 2006, où j'ai quitté la Grande Île pour Maurice.
Quels sont vos thèmes de prédilection ?
J'ai beaucoup dessiné sur la pauvreté en Afrique et dans mon pays, en particulier. Par exemple, je m'inspirai des gens qui vivaient dans la rue, les sans-abri en l'occurrence ou des montagnes d'immondices sur la voie publique et je les remettais dans le contexte des discours politiques ou de mesures économiques qui étaient proclamés. J'essayai d'en tirer tout l'absurde en pointant les contrastes. A Maurice, c'est différent, du fait de la situation sociale, qui est sensiblement meilleure qu'à Mada, mais aussi par la volonté du journal qui m'emploie. On me demande de faire des caricatures politiques, j'aurais pu faire autre chose, mais c'est l'orientation de la rédaction et cela ne me dérange pas. De toute façon, même lorsque mon approche se voulait sociale, ma motivation était politique.
Vous avez travaillé à Maurice et à Madagascar, avez-vous vu des différences entre les deux pays ?
Si Maurice peut se vanter d'avoir une plus vieille tradition de dessin de presse, la discipline semble, en ce moment, foisonner davantage à Madagascar. Toutefois, financièrement, je pense que les dessinateurs à Maurice s'en tirent mieux que leurs pairs malgaches. La nature iconoclaste du dessin de presse fait qu'il froisse ou heurte inévitablement des sensibilités. Il reste que les sensibilités des Malgaches diffèrent de celles des Mauriciens. Par conséquent, les sujets qui passionnent ne sont pas pareils.
J'ai remarqué que la presse mauricienne est plus pudique. Je suis parvenu, un jour, à glisser une femme avec un bout de sein à l'air, et c'était un exploit. A Madagascar, je peux me permettre de dessiner une femme quasiment nue sans heurter les lecteurs. Mais je précise que mes dessins de femmes nues ne sont jamais gratuits. Ils sont justifiés par le sujet qu'ils traitent. Je pense notamment à un dessin que j'avais réalisé à propos de la loi sur le monokini sur la plage. Ma proposition principale avait été refusée puis recorrigée avant d'être publiée. En outre, les dessins touchant la religion sont largement plus tolérés à Madagascar.
Y a t-il des sujets tabous que vous n'abordez jamais ?
Les conséquences démesurées des dessins sur le prophète Mahomet m'ont fait comprendre que, malgré mon opinion sur le sujet, mieux vaut ne pas m'aventurer dans ce sens. Je m'abstiens de traiter certains sujets sur lesquels je n'ai pas envie de travailler. Je n'aime pas dessiner certains drames - souvent libellés "faits divers" dans la presse - qui touchent des particuliers et qui n'ont aucune conséquence généralisée sur la société. Je suis très pudique sur les malheurs des gens bien que je dessine souvent sur la misère, et que je sois friand d'humour noir.
N'avez-vous pas le sentiment que les dessinateurs de presse souffrent d'un manque de reconnaissance du milieu journalistique ?
Maintenant qu'on en parle, j'admets que oui. Le dessinateur de presse est un bâtard dans une rédaction. Il n'est pas du groupe des rédacteurs, ni des reporters, ni des photographes. Le métier est incompris, même d'une partie des gens du milieu journalistique.
Le dessinateur se retrouve finalement dans une solitude presque similaire à celle du rédacteur en chef, sauf qu'il n'est pas chef ! On le prend pour le fou du roi, tout en lui accordant le privilège de travailler comme un éditorialiste. C'est ainsi qu'il est facilement marginalisé, expliquant sans doute ce manque de reconnaissance.
Y a t-il des dessins qui vont ont apporté des problèmes ?
Fort heureusement - j'en loue Dieu - je n'ai eu jusqu'à présent aucun problème. À part quelques virulentes critiques proférées ici et là ou par courrier, par certains individus sans grande influence.
Œuvres de Pov :
Recueils de caricatures :
- Composez le 18 (2003 - Madagascar)
- En voie de développement (2003 - Madagascar)
- Vive l'alternance (2006 - Maurice)
- De A à… Z (2007 - Maurice)
Albums de BD :
- L'Île Maurice racontée à mes petits enfants (2008 - Maurice, avec Jean Claude de L'Estrac et Christophe Cassiau-Haurie)
- "http://povonline.wordpress.com/2009/07/13/soa-ny-fiarahantsiky/" Lien permanent vers "Soa ny fiarahantsiky"" (2009 - Madagascar)
Pov apparaît également dans des recueils collectifs : Madabulles 2003, Africa comics 2005-2006, Africa comics 2007-2008, La bande dessinée conte l'Afrique (Alger, 2009).