Christophe Cassiau-Haurie
En 2008, le dessinateur français Hippolyte, part pour le Sénégal retrouver son père à Saly. Ce village de pêcheurs situé à 70 Km au sud de Dakar est devenu une station balnéaire prisée par des cohortes de touristes en quête de soleil et d'exotisme à peu de frais. En haute saison, plus de 20 000 personnes s'y retrouvent le long des plages et Saly est devenu l'un des hauts lieux du Sénégal en matière de prostitution. C'est dans ce " paradis " construit de toutes pièces pour les Européens que débarque Hippolyte, invité par son père qui s'y est installé. On ne saura rien des raisons pour lesquelles le père d'Hippolyte est venu vivre à Saly et il n'est même pas sûr que le fils le sache exactement.
Ce sont ces retrouvailles que le fils raconte dans l'album L'Afrique de papa perçue à travers le prisme du père. L'Afrique qu'il décrit et qu'il montre à son fils est avant tout un terrain de jeu pour occidentaux, qui y coulent des jours " heureux ", indifférents à leur environnement immédiat et aux hommes et femmes qui les entourent. On sent bien la part de non-dits entre les silences du fils, renfrogné et réservé et les rodomontades du père dont le leitmotiv " Elle est pas belle la vie ? " cache sans doute un certain malaise.
S'il ne verse pas dans la condescendance, l'album n'en est pas pour autant prétexte à un règlement de compte familial. On perçoit même une certaine tendresse du fils à l'égard du père, un père perdu et, sans doute, plus malheureux qu'il ne veut bien le faire croire.
L'Afrique de papa peut être indirectement lu comme un état des lieux sans complaisance des rapports entre Occidentaux et Africains sur le continent, 50 ans après les indépendances. Il n'y a, en apparence, pas de jugement dans la démarche de l'auteur, ce qui serait d'ailleurs inutile. Un simple regard sans concession et un tant soit peu honnête suffit à rendre compte de la brutalité de la réalité. Soixante-dix ans après Tintin au Congo, la vision des Occidentaux en voyage en Afrique reste toujours aussi caricaturale….
Entre ces deux titres, quelques albums se sont penchés avec plus ou moins de réussite sur le sujet. Sur un mode plus comique mais tout aussi incisif que celui d'Hippolyte, Nicolas Dumontheuil a publié en 2009 puis en 2010 les deux premiers tomes de la série Le Landais volant (1). Dans ces deux albums, Dumontheuil évoque avec une bonne dose de dérision, le tourisme sexuel, le vaudou et le racisme plus ou moins refoulé des Occidentaux, à travers le parcours en Afrique de l'Ouest de son héros gascon, Jean-Dextre Pandar de Cadillac (2). L'ensemble est inspiré par les voyages de l'auteur sur le continent : " Je pense que les touristes comme moi passent à côté de tout. Et je ne suis pas certain que les Français installés là-bas depuis longtemps aient une meilleure compréhension des choses. (3) " En 2010 toujours, Jean Christophe Chauzy (dessin) et Anne Barrois (scénario) sortent Bonne arrivée à Cotonou, album qui raconte l'histoire de Charles, jeune européen oisif qui gagne un safari au Bénin. Mais " sa bêtise va le conduire à accumuler gaffe sur gaffe et à tomber dans tous les pièges à touristes (4) ". Cet album, moins réussi que Le Landais volant, aborde également les idées reçues des Français sur l'Afrique.
L'Afrique de papa navigue habilement entre bandes dessinées et carnet de voyage, Hippolyte y mêlant subtilement vignettes de BD et photographies. Les deux techniques se font écho. Les scènes avec les Européens passent essentiellement par des dessins et croquis. La photographie retrace les tranches de vie et les rencontres faites par Hippolyte durant son séjour au Sénégal. Le travail des pêcheurs sur la plage, l'entraînement des lutteurs, les scènes de marché, telle est l'Afrique d'Hippolyte. Celle qu'il était aussi venu chercher et qu'il est condamné à observer à travers l'objectif d'un appareil.
Cet album marque également la naissance d'une maison d'édition de bandes dessinées à La Réunion, Des bulles dans l'océan, fondée par Jean Luc Schneider, également propriétaire de trois librairies à La Réunion (Des Bulles dans l'océan et Le Repaire de la Murène) et créateur du festival de BD de Saint Denis de La Réunion, Cyclone BD. Ce projet de maison d'édition n'est pas nouveau pour Jean Luc Schneider qui s'était déjà occupé il y a un peu plus d'un an de la sortie de Asterix la kaz razade par Caraïbédition, version en créole réunionnais de Astérix chez Rahazade.
L'Afrique de papa, qui avait fait l'objet d'une première édition dans le magazine XXI, sera suivi par d'autres projets. En septembre, Des Bulles dans l'océan publiera Quartier western de Tehem, auteur réunionnais de Zap collège, Malika secouss et Tiburce. Œuvre de plus de 120 pages, Tehem y raconte son enfance dans La Réunion des années 70. Au même moment, sortira chez le même éditeur un ouvrage pour les enfants sur le sexe intitulé Zizi, Zézette que Tehem illustre, sur un texte de Luc Chevallier. Enfin, en décembre, l'éditeur sortira un carnet de voyage sur La Réunion : Zoreil dedan d'Emmanuel Proust.
Une belle entrée en matière pour Des Bulles dans l'océan auxquelles on peut souhaiter bonne chance. Sa réussite serait la démonstration éclatante de la bonne santé de la bande dessinée à La Réunion. Elle confirmerait également qu'il est possible d'exister loin de la Métropole et d'avoir une politique éditoriale de qualité sans pour autant tomber dans des tirages confidentiels, un régionalisme de façade ou un intellectualisme inatteignable.
Encore faut-il pour cela avoir des auteurs du talent d'Hippolyte ou Tehem dans son catalogue…
1. Conversation avec un margouillat (T.1), A la recherche du sexe volé (T.2).
2. Pour information, Pandar de Cadillac est inspiré de Jean Denis Pendanx, dessinateur de la série Abdallahi sur le voyage de René Caillé à Tombouctou (ed. Futuropolis).
3. http://www.bodoi.info/magazine/2009-06-05/nicolas-dumontheuil-un-gascon-en-afrique/17352
4. http://www.bodoi.info/critiques/2010-06-01/bonne-arrivee-a-cotonou-%C2%B0/34271
Le blog de l'auteur : hippo.canalblog.com