Pierrot Men :  » Réfléchir une image, c’est courir le risque de la voir disparaître « 

Entretien de Jessica Oublié avec Pierrot Men

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À l’aune de la clôture de la douzième édition du Mois de la photographie à Antananarivo, son président d’honneur, le très célèbre photographe malgache de l’ombre et de la lumière Pierrot Men, revient sur la manière dont il conçoit l’acte photographique.

En tant que photographe, que vous inspire le Mois de la photographie à Madagascar ?
C’était d’abord un défi. Je félicite mon ami photographe Fidisoa Ramanahadray qui s’est battu pour la réalisation de ce projet. Cette nouvelle édition est réellement une réussite parce qu’elle a permis a de nombreux jeunes photographes de talent de sortir de l’ombre. Le Mois de la photographie doit poursuive son effort en revenant chaque année. Cet évènement est l’occasion pour de nombreux photographes malgaches de présenter leurs travaux, de faire des rencontres, d’échanger avec le grand public et de sortir de l’anonymat. Là est sa réussite.
Les photographes malgaches ne bénéficient pas de structure formelle pour les encadrer. Quelle a été votre méthode pour vous créer une identité, une renommée internationale ?
On ne peut parler de méthode mais par contre j’ai eu la chance de commencer très tôt la photographie et de m’adonner aussi à la peinture ce qui m’a aidé à maîtriser l’art de la composition. Mais, j’ai vite compris que la photographie est l’adéquation parfaite entre le regard, la pensée et le déclic. Tout doit se passer aussi rapidement que naturellement. Il n’y a jamais eu d’école de photographie à Madagascar mais aujourd’hui il y a internet, véritable outil de travail et d’information pour les jeunes photographes. Techniquement, ils sont très bons, ils maîtrisent la profondeur de champ, la distance, la lumière. Mais ce n’est pas suffisant. Ils devraient oublier la technique qui les empêche de voir l’image telle qu’elle s’offre à eux. Tous les photographes de Fianarantsoa [ville où vit et travaille Pierrot Men], passent leur journée dans mon laboratoire. Ils viennent pour développer leurs travaux mais aussi pour discuter. Il n’y a pas de cours. C’est de la discussion libre. Souvent, ils me demandent comment réaliser une image esthétiquement séduisante. Je leur réponds que la photographie elle-même ne suffit pas, que derrière chaque image se cache une histoire.
Vos photographies sont un mélange de lumière sculpturale, d’intemporalité et de peinture sociale. Comment décririez-vous votre relation avec vos sujets photographiques ?
Je suis né à Madagascar, je photographie donc mes propres souvenirs. Ce sont des choses que j’ai moi-même vécues. Jamais je n’ai pensé que je devais faire une photographie. Mon appareil est toujours avec moi. Le reste est une histoire d’ébullition intérieure, de curiosité naturelle pour ce qui visuellement nous paraît fascinant. Ce que je conseillerai aux jeunes photographes c’est de toujours photographier ce qu’ils ressentent et de conserver ce qui leur est le plus précieux, leur spontanéité. Si vous avez le temps de vous dire que la scène à laquelle vous assistez est belle c’est qu’il y a quelque chose photographiquement que vous n’avez pas eu le temps de saisir. Réfléchir une image, c’est courir le risque de la voir disparaître. En fait, il faudrait d’abord faire la photographie et après se dire que cela pourrait faire une belle image… Si on comprend ce qu’on fait, on voit spontanément ce qu’il y a à faire.
Aujourd’hui, vous êtes à Antananarivo pour une conférence sur les droits de la photographie à Madagascar. Quel sera le contenu de votre intervention ?
Beaucoup de gens considèrent que la photographie est un acte facile et qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour réaliser une image. Pourtant, le photographe donne naissance à une création et celle-ci à un prix. Il est important que les photographes sachent chiffrer leur travail et qu’ils ne vendent pas leur photographie comme on vendrait de l’alimentation générale. Il y a aussi toute l’activité éditoriale qui est une manière formidable de mettre en forme son travail. À qui s’adresser, à quel moment de sa carrière, comment choisir ses images, que dire à leurs propos ? Aussi, en France, on parle beaucoup du respect du droit à l’image. Ce n’est pas un débat qui est arrivé jusqu’à Madagascar. Mais il est important d’en maîtriser les grandes lignes. Il y a une vingtaine d’années, j’avais photographié un enfant vendeur de journaux et il y a à peine trois ans je l’ai revu par hasard, il était capitaine dans l’armée. Son visage n’avait pas beaucoup changé. Je suis allé lui parler pour lui dire que j’avais réalisé cette photographie de lui et que je tenais à lui offrir un agrandissement. Avec ces questions relatives au droit à l’image, je m’imagine mal demander une signature avant de faire une photographie, ça rendrait mon travail administratif… Je préfère faire une photo et prendre le temps de voir ce qui va se passer. Si un jour, il nous est interdit pour des questions de droit de photographier librement des gens, j’arrêterai la photographie et commencerai des natures mortes…
Vous n’aimez pas l’administratif. Est-ce pour cela que des galeries s’occupent de structurer votre visibilité sur le marché international et de faire vivre vos œuvres ?
Chacun son métier. Le mien est de faire des images. D’autres les exposent et les vendent. C’est ce que font mes galeries en Pennsylvanie, sur l’île de la Réunion et en France. Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir partager mes photographies ici à Madagascar et quand les gens viennent me voir dans mon atelier. Je ne fais pas de commerce. D’ailleurs, ces galeries, je ne les ai jamais contactées. Ce sont elles qui sont venues me démarcher. Être en relation avec elles ne m’enlève pas ma liberté de créer et de penser mes images à ma manière. Nous avons trouvé un équilibre où chacun respecte le travail de l’autre.
En 2009 vous exposiez à la Villette, au Panaf d’Alger, aux septièmes Rencontres africaines de la photographie à Bamako, à Photoquai. Quelle a été votre principale actualité en 2010 et vos grands projets ?
Je n’ai jamais fait de projet en photographie, j’ai toujours eu de la chance pour ça car ce sont des personnes extérieures qui sont venues m’en donner. Par exemple, pour mon livre Enfance, l’éditeur français Association diapason est venu me voir pour me proposer de l’aider à monter un ouvrage photographique sur les enfants de Madagascar. En regardant toutes mes archives, j’ai compris que j’avais réellement de quoi faire un livre. Quelque part, c’est ma propre enfance que j’y ai racontée, on y retrouve les propres étapes de ma vie. Sur certaines photographies que j’ai prises, je me revois assis sur les bancs de l’école primaire en pleine brousse, parfois aussi je suis cet enfant sur le dos de sa mère, ou encore ce gosse qui mendie la nuit dans les rues de Tana pour travailler parce qu’il n’a aucun refuge et plus de parent. En fait ce livre était comme un autoportrait… Pour ce qui est de mon actualité, j’expose actuellement avec des confrères africains aux Palais des Beaux-arts à Bruxelles et en novembre j’aurais une exposition de quarante photographies dans l’ancienne galerie Polka au 103, rue Oberkampf en association avec l’ONG Graines de Bitume que je parraine et qui s’occupe des enfants des rues à Antananarivo. En novembre toujours se déroulera ma première vente aux enchères à Bruxelles. Ce sera une expérience complètement inédite pour moi.
Vous n’avez jamais de projets mais peut-être un souhait…
Faire un gros livre retraçant mes trente-cinq années de photographie. Personne ne m’a encore approché à ce sujet. Mais j’espère que cela se fera un jour. Avec le cinquantenaire de l’indépendance, Madagascar entre dans une nouvelle ère, c’est important pour moi de réunir toutes ces données accumulées de part le passé pour continuer de leur donner une réalité. Quelque part, ce serait une manière de mieux accompagner le présent.

Antananarivo, 29 juillet 2010///Article N° : 9603

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Petit vendeur de journaux © photo suivante Pierrot Men
La décharge de Fianarantsoa devenue un terrain de jeu





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