Ile était une fois… : un album de BD collectif issu d'un atelier AfriBD à Maurice
Dessiner la mémoire d'une île : une saga en images du peuplement et de l'évolution sociale de l'Ile Maurice
Ile était une fois… vient d'être lancé à l'Ile Maurice par un soirée festive rassemblant le 21 avril 2011 près de 250 personnes à l'Institut Français à Rose-Hill. Il est publié par les éditions mauriciennes VIZAVI, dans des styles graphiques différents et paré des couleurs chaleureuses de cet arc-en-ciel qui symbolise la diversité culturelle d'une société en devenir.
Alain Brezault et Christophe Cassiau-Haurie
Cet album fait suite à la conception et à la réalisation d'un premier album collectif de BD, intitulé "Congo 50", réalisé par huit bédéistes congolais de l'Association partenaire d'AfriBD pour l'Afrique Centrale, "BD Kin Label", afin de célébrer à leur façon les cinquante ans d'indépendance de la République Démocratique du Congo.
Le succès populaire de "Congo 50" aidant, AfriBD décida de monter un second projet d'album collectif, en collaboration avec son partenaire pour l'Océan Indien, le CroArt, basé à Maurice et animé par Thierry Permal associé à Evan Sohun, deux remarquables artistes qui consacrent leurs talents multiples à la promotion du "9ème Art" dans leur île.
Scénariste et collaborateur d'AfriBD, Alain Brezault est allé à Maurice durant deux semaines, en juillet 2010, pour animer avec Thierry Permal et Evan Sohun un atelier de scénarisation, dans le but de concevoir collectivement la trame d'un scénario destiné à évoquer en plusieurs épisodes l'aventure parfois douloureuse du peuplement de l'ancienne "Ile de France".
Cette histoire (qui se développe sur plusieurs siècles et s'achève dans un futur proche, par une mise en garde contre les méfaits éventuels d'une urbanisation galopante), devait avoir un fil conducteur suffisamment significatif et porteur d'un message consensuel à transmettre aux jeunes et aux moins jeunes générations.
Après mûres réflexions, il fut finalement décidé que ce fil conducteur, qui rebondirait d'une histoire à l'autre à travers le temps, serait l'emblème de l'île Maurice, cet étrange oiseau sans ailes à jamais disparu : le dodo, dont on laisse présager l'extinction prochaine par les Hollandais dans le premier chapitre consacré à la virginité de l'île brutalement déflorée.
Par la suite, le fantôme du dodo se manifestera au cours des différents récits pour secourir ou alerter certains des personnages en proie aux difficultés et aux épreuves qu'ils rencontreront dans leur marche vers la liberté pour fonder une société moderne multiraciale, respectueuse des droits, des devoirs et des cultures de chacune de ses composantes.
Parcourant les cinq siècles de l'histoire des hommes et des femmes venus peupler Maurice, le lecteur voyagera avec Evan Sohun, Noah Nany, Thierry Permal, Pov, Munavvar Namdarkhan, Wilma Larché, Sébastien Langevin, Annouchka Ramcharrun et Laval Ng à travers le temps et l'espace, depuis la découverte de cette île vierge semblable à un Eden, jusqu'à notre époque, offert au développement du tourisme, et même au-delà, jusqu'en 2050, date butoir d'un futur proche menacé par une promotion immobilière sauvage. Entre-temps, le lecteur aura traversé les tumultueuses périodes de lutte entre les grandes puissances européennes pour la possession de ce point stratégique de l'océan Indien, idéalement situé sur la lucrative route des épices, durant les siècles douloureux de l'esclavage, jusqu'à la venue des Engagés appelés à poursuivre l'exploitation des plantations de cannes à sucre, avant de trouver progressivement leur place au sein du développement économique de leur pays d'accueil.
Un album en point d'orgue
Il a fallu attendre 1987 pour que sorte
Maumau, le dodo, oeuvre de Roger Merven et de Jacques Germond. Ce premier album mauricien de l'histoire retrace la création du paradis terrestre jusqu'à la fin du monde... des dodos ! Les années 90 correspondent au démarrage de la carrière d'Eric Koo Sin Lin qui durera jusqu'au début des années 2000 avant son exil en Australie. Son point d'orgue sera la sortie en 1998 et 2000 de
Vive la patrie et
Nous les Mauriciens, deux albums dans lesquels il se moque, avec un humour ravageur et des dessins de grande qualité, de la société mauricienne. En 2003, Laval Ng, maintes fois couronné aux concours de l'alliance française, reprend les quatre derniers tomes de la série française
Ballade au bout du monde. Mais, dans le pays, les ouvrages sortent au compte-gouttes, pour l'essentiel du fait d'initiatives individuelles : Annick Sadonnet à deux reprises (
L'aventure mauricienne, un pays est né,
Baril de poudre,
Les aventures de Mario, le détective privé mauricien), Alain Arouff (
L'agent Pescado - 1991), Joseph Claude Jacques (
Heureux Dodo - 2000), Stanley Harmon (
Zistoir ze ek melia).
Cette situation s'explique par le faible investissement des éditeurs et de la presse dans ce domaine.
L'année 2008 marque un tournant : Evan Sohun et Thierry Permal, anciens dessinateurs de la revue BD
Ticomix, lancent un atelier d'illustrations et de BD : Croart. Celui-ci se transformera en association par la suite. En décembre, Jean Claude de L'estrac et Pov publient aux Editions Le printemps,
L'île Maurice racontée à mes petits enfants, qui devient un gros succès de librairie. Au même moment, sortent
Dieu kiladi de Titane Laurent ainsi que
Le Fils perdu et retrouvé de Stanley Harmon qui adapte une parabole de l'Evangile avec beaucoup de talent et de sensibilité. Par la suite, plusieurs albums suivront. Ce sera le cas en 2009, de
Rajah à l'Aapravasi Ghat, sur l'émigration indienne dans le pays, par Annouchka Ramcharrun, fonctionnaire et ancienne élève de l'atelier Croart. Au mois de mars 2010, Laval Ng sort son premier album commercial "au pays",
Contes de sagesse d'Afrique, un recueil de contes du Sénégalais Cheik Abdoulaye Dieye, publié par le Centre des dames mourides (CDM). De son coté, Pov adapte la constitution mauricienne pour Amnesty International (
Constitution, euh c'est quoi ?) et Khalil Muthy publie à compte d'auteur,
Captif à l'isle de France. A l'étranger, Laval Ng continue son parcours en dessinant
Khalil Gibran en 2008 et en apparaissant dans le collectif
Marmites créoles (CDM - Réunion) en 2011. Maëva Poupard scénarise, sous le pseudonyme de Rutile, la série
Geek et Girly en 2 tomes, chez Soleil productions. Enfin, en 2010, Pov et le poète Umar Timol apparaissent dans l'album collectif,
Visions d'Afrique aux éditions de L'Harmattan, avec une adaptation de
Terre d'ébène d'Albert Londres pour le premier et la mise en dessins d'un des textes du second :
Les yeux des autres.
Ile était une fois… n'est donc pas une œuvre isolée et se situe bien dans une dynamique propre au 9ème art mauricien. Les auteurs réunis à cette occasion sont tous issus des différentes étapes qui ont marqué son histoire.
C'est cette énergie, ce souffle qu'AfriBD a voulu soutenir en choisissant, l'île Maurice et l'association Croart parmi ses trois partenaires du sud. En espérant que ce souffle ne retombe pas et que cet album soit le démarrage d'une véritable culture de la BD dans ce petit pays qui a offert tant d'écrivains et d'artistes à la francophonie.