Le Créole à la Réunion : au-delà des enjeux linguistiques

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À la Réunion, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et en métropole, ils étaient près d’un millier d’élèves à avoir passé les épreuves de langue créole en vue de l’obtention du Baccalauréat. Relativement aux autres Départements d’Outre-mer, les enjeux de cet enseignement à la Réunion dépassent largement la transmission d’un patrimoine culturel.

« Parle bien ! » est une remontrance que Jessie Rivière, professeure de créole à La Réunion, a pu entendre de la bouche d’enseignants… lorsque les élèves parlaient créole. « Il ne s’agit pourtant pas d’un problème d’expression mais plutôt de parler une autre langue », explique-t-elle. En effet, [selon une enquête de l’Insee], plus de la moitié des Réunionnais parlent uniquement le créole. Et pendant l’enfance, huit sur dix étaient exclusivement créolophone. Bien plus qu’à La Martinique ou en Guadeloupe.
Si depuis l’an 2000, le créole est reconnu comme une langue régionale et peut être enseigné en tant que telle, ce dispositif demeure insuffisant au regard de la situation linguistique réunionnaise. Créé pour sauver des langues régionales en voie de disparition, il permet aux élèves d’apprendre le créole, soit en tant qu’option, soit à titre de deuxième langue vivante. « On enseigne le français comme c’était la langue maternelle des élèves. De ce fait, l’échec scolaire à la Réunion est considérable et certains jeunes sont mis à l’écart », explique Jean-Claude Carpanin Marimoutou, président du Jury du Capes de créole. Ainsi, 17 % des 18-65 ans auraient des difficultés à comprendre un texte simple contre 11 % en métropole [1]. Les difficultés à l’école des créolophones apparaissent dès le Cous Préparatoire (CP), classe où ils doivent à la fois apprendre le français et la lecture [2]. « Au lieu d’opposer le français et le créole, mieux vaudrait un système qui permette le bilinguisme », préconise Jean-Claude Carpanin Marimoutou.
Depuis 2007, des avancées ont été faites en ce sens dans le premier degré. En plus de la matière « Langue et culture régionale », les écoles peuvent mettre trois nouveaux dispositifs à disposition des élèves : les classes bilingues, des cours de sensibilisation à la langue et à la culture ainsi que des cours de français en milieu créolophone. Les élèves ayant des besoins différents, cela permet de mieux les prendre en compte car le créole et le français cohabitent de façon complexe. « Les enfants ne sont pas tous uniquement créolophones et le français n’est pas non plus une langue étrangère », explique Fabrice Geoger, chercheur associé au laboratoire de recherche sur les espaces créoles et francophones. « L’idée c’est de les aider à faire la différence entre les deux langues et de développer un métalangage favorisant l’acquisition du français ». Un amendement du Sénat apporté au mois de mai 2013 au projet de loi sur la refondation de l’École devrait encore améliorer la situation. Il précise que le recours aux langues régionales sera « possible dans le premier et le second degré », et ce dans le but « d’améliorer l’apprentissage du français et en l’ouvrant au contraire à tout enseignement ».
Si le dispositif actuel d’enseignement du créole dans le cadre de la langue et la culture régionale n’est certes pas suffisant, il permet néanmoins sa revalorisation. Formellement interdit dans certains établissements scolaires jusqu’en 1946, le créole pouvait néanmoins être toléré dans d’autres [1]. En effet, après la fin de l’esclavage en 1848, les autorités ont tenté de faire disparaître cette langue l’interdisant dans les écoles et l’écartant de l’espace public [2].
« Si la génération de mes parents n’avait pas le droit de parler créole à l’école, la mienne subissait un interdit plus implicite. Même nos parents nous demandaient de parler français », se souvient Jessie Rivière. Malgré les évolutions, la situation linguistique de l’île demeure diglossique, le créole s’opposant au français, synonyme de prestige et de réussite sociale. Aujourd’hui encore, les parents sont parfois frileux à l’idée d’inscrire leurs enfants en créole de peur qu’il ne concurrence les autres langues comme l’espagnol ou l’allemand. À l’instar des établissements qui préfèrent ne proposer le créole qu’en option. « Comme beaucoup pratiquent déjà la langue, les élèves sont parfois dans une logique comptable et peuvent choisir le créole au détriment d’autres langues. Pensant pouvoir obtenir de bonnes notes facilement. Mais face au niveau d’exigence, certains abandonnent en cours d’année », explique Jessie Rivière. Car s’ils pratiquent le créole, beaucoup d’élèves maîtrisent mal la syntaxe et disposent de peu de vocabulaire.
Surtout, apprendre le créole, ce n’est pas seulement maîtriser une syntaxe et du vocabulaire, c’est aussi l’occasion d’en apprendre sur soi. Les notions aux programmes des cours de Langue et cultures régionales (LCR) permettent aux enseignants d’aborder l’histoire d’un point de vue qui ne soit pas uniquement hexagonal. « Dans cette matière, nous pouvons parler de nous-mêmes car l’Hexagone reste un Autre pour nous. Avant d’aller vers ailleurs, il faut se connaître nous-mêmes », estime cette professeure convaincue. Arrivés en classes de première et de terminale, nombreux sont les élèves incapables de nommer la révolte des esclaves de Saint-Leu en 1811. Pour eux, la notion de résistance reste exclusivement associée à la Seconde Guerre mondiale. Les cours de créole représentent alors une occasion d’aborder et d’enseigner l’histoire de l’esclavage différemment et de réhabiliter des héros réunionnais. « Il faut se réapproprier cette culture et ce patrimoine pour se sentir grand », estime Jessie Rivière. Et de poursuivre : « Par rapport aux élèves de métropoles, souvent les Réunionnais se sentent inférieurs. Ils ne pensent pas être capables d’intégrer une grande école. Ils estiment que la tête du pays est réservée à une élite sociale qui est forcément d’ailleurs ». Des initiatives qui relèvent encore du volontariat des professeurs, et qu’il s’agirait d’inscrire dans un cadre légal afin d’éviter la concurrence entre les langues et d’assurer la transmission de cette histoire.
L’enseignement du créole en métropole
En métropole, ce n’est qu’à partir de 2007 que les élèves de lycée ont pu commencer à présenter le créole comme épreuve obligatoire du baccalauréat. Sans pour autant en instaurer l’enseignement. Et ce, grâce à une pétition qui récolte, entre autres, les signatures de Christiane Taubira, Édouard Glissant ou encore Patrick Chamoiseau.
Le créole n’était pas proposé en métropole en raison de l’application de la loi Deixonne qui a pour objectif de favoriser l’enseignement des langues locales dans les régions où elles sont en usage. « Pourtant, le corse et le breton étaient enseignés en Ile-de-France, alors j’estimais que nous y avions droit pour le créole », explique Souria Adèle qui a fondé le collectif pour le créole au baccalauréat dans l’hexagone. Ce n’est qu’en 2008 que l’enseignement du créole est instauré dans deux lycées de l’académie de Créteil.
À partir de 2011, les académies de Paris, Créteil, Versailles permettent aux élèves de présenter le créole en tant qu’option et non plus seulement comme une épreuve obligatoire. « Les élèves préfèrent prendre le créole en option car cela leur permet de gagner des points sans prendre trop de risques. Malheureusement seuls les créoles guadeloupéen et martiniquais sont pour le moment proposés en option », regrette Souria Adèle.
En chiffres : En 2010, 61 élèves ont présenté le créole au baccalauréat en métropole. Un chiffre en augmentation depuis la possibilité de le présenter en tant qu’option. Ainsi en 2011, le nombre d’élèves a été multiplié par dix. Au total, ils étaient 541 à présenter le créole (épreuves obligatoires et optionnelles confondues).

Pour plus d’informations
Collectif pour le créole au bac dans l’Hexagone
22, rue Deparcieux – BL64 – 75 014 Paris
[www.creoleaubacdanslhexagone.org]

1. [Source : Insee].
2. [Source : Insee].
3. Adelin Evelyne et Lebon-Eyquem Mylène, « L’enseignement du créole à la Réunion, entre coup d’éclat et réalité », Tréma, 2009, : [En ligne]
4. Confiant Raphaël, Ollivier Emile, Henry-Valmore Simonne, « Table ronde des écrivains », Cahiers de l’Association internationale des études francaises, 2003, N°55. [En ligne].
[Profil du photographe Letrusko].///Article N° : 11638

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© Flickr/ Letrusko





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