La masterclass de Steve McQueen – Cannes 2021

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Le festival de Cannes a labélisé en 2020 (édition annulée par la covid-19) deux épisodes de la série Small Axe (Cf. critique 15161), Mangrove et Lovers Rock, et a projeté ce dernier sur le cinéma de la plage en 2021. Steve McQueen était invité le 16 juillet 2021 à répondre aux questions de Didier Allouch, correspondant cinéma à Los Angeles de Canal+.  Cette discussion eut lieu en anglais avec traduction simultanée (visible en anglais ici sur et en français ici). Une traduction sur le vif étant forcément imparfaite, nous sommes repartis de la version anglaise pour la publier ici, légèrement résumée.

Didier Allouch (D.A.) : Je voulais revenir sur la projection d’hier, qui a été tout à fait particulière – la projection de Lovers Rock – sur la plage. Qu’avez-vous ressenti ?

Steve McQueen (S.M.Q.) : Je me sentais très bien. J’étais préoccupé par le son, mais c’était presque comme un concert. Ce film a été présenté pour la première fois à la télévision, sur une plateforme de streaming de la BBC et Amazon ; mais, pour moi, il s’agissait de l’amener au cinéma afin de rompre les barrières entre le public et ce qu’il y a à l’écran ; que vous ayez le sentiment de faire partie de l’événement et de pouvoir sentir l’émotion, ce qui se passe. L’expérience d’hier était donc fantastique, également grâce à la basse car tout repose sur la basse !

D.A. : En 2008, lorsque Bruno Dumont vous a remis la Caméra d’or, il a dit quelque chose comme – je paraphrase : « la narration de ‘Hunger’ est un équilibre parfait entre la forme et le combat », et on retrouve toujours cela dans votre travail : la narration vient de la forme du film et de la lutte que l’on trouve dans le sujet, dans l’histoire. Cela peut-être politique, cela peut-être la lutte contre l’addiction, mais c’est toujours présent dans votre cinéma. Il n’y a pas beaucoup de réalisateurs qui parviennent à un tel équilibre. Etes-vous d’accord et comment arrivez-vous à obtenir cet équilibre ?

S.M.Q. : Je pense que dans tout ce qui existe dans la vie, lorsqu’il y a des luttes – quand on est amoureux, par exemple, cela est sans arrêt une lutte – il faut toujours y travailler. Que l’on se trouve dans une situation agréable ou désagréable, cela demande du travail. En tant que réalisateur, l’enjeu est de se faire une idée de ce que cela peut-être et, en même temps, de ce que c’est[1] ; et de comment on peut arriver au stade que l’on voulait atteindre. La lutte contre l’addiction au sexe, échapper à l’esclavage ou tomber amoureux dans Lovers Rock comprennent autant d’obstacles, de barrières qu’il faut dépasser pour arriver à l’objectif. En tant que réalisateur, il faut suivre cela, et, avec un peu d’espoir, cette personne arrivera à ses fins.

D.A. : Ce n’est pas facile de suivre tout cela d’un projet à l’autre. Est-ce que cela vous vient naturellement ?

S.M.Q. : C’est la vie ! On se lève le matin, tout est un effort ; la gravité, qui veut vous pousser vers le bas, impose un effort. Il ne s’agit pas uniquement de l’évident, mais du rituel de la vie, comment se lever, se brosser les dents, aller au travail ; c’est aussi simple que cela, le sujet n’a pas besoin d’être monumental.[2]

D.A. : Nous parlerons des différentes scènes plus tard, mais parlons de la forme pour le moment, car vous êtes un formaliste, un artiste. Vous êtes arrivé au cinéma relativement tard. Vous aviez, quoi, 36 ans lorsque vous avez fait Hunger ?

S.M.Q. : 38 ans.

D.A. : Parlons de quelque chose que je trouve tout à fait extraordinaire dans vos films : il s’agit d’une composition très brève.[3] La forme est toujours importante, la symétrie est essentielle, le texte est très présent. Quoique vous exprimiez, vous le faites déjà par l’image que nous voyons, et peut-être même avant tout par l’image. Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous préparez la composition de vos plans[4] et comment cela sert votre objectif ?

S.M.Q. : Je pense qu’en tant qu’artiste, on est là pour présenter une certaine perspective. Je suis toujours à la recherche d’images. J’ai à faire à la perspective, à la composition depuis que je suis enfant, dès le moment où j’ai pu prendre en main un crayon pour dessiner sur une feuille de papier. Le fait que j’étais intéressé par l’art a fait que je sois davantage focalisé et concentré. Être en quête d’images et savoir comment les placer dans une composition a toujours été fascinant pour moi. Je m’intéresse aussi à tout ce qu’on peut dire dans une seule image. En peinture, on peut avoir le même tableau face à soi toute sa vie, y revenir sans arrêt et être fasciné à chaque fois qu’on la regarde car il y a toujours une nouvelle perspective à trouver. La différence, en tant qu’auteur[5] et réalisateur, est que l’on peut superposer, parler de trois ou quatre sujets dans une même scène, parce que le public est en capacité de lire cela, et c’est tout à fait stimulant. On essaye d’honorer l’intelligence du public qui regarde l’image.

D.A. : Pour la première scène de Hunger, je me souviens – et j’ai su dès le début – que je regardais là l’une des scènes les plus puissantes de toute ma vie. Est-ce que vous avez réalisé que le cinéma allait apporter une autre dimension au pouvoir de cette image, à ce que vous voulez dire dans chaque prise ?

S.M.Q. : On s’aperçoit au début de cette scène que Bobby Sands est décédé, ce qui est aussi la fin de l’histoire : le début est la fin et la fin, le début, et cela continue en cercle de cette manière. Je voulais que ce film commence avec une sonnette d’alarme : « Réveillez-vous ! ».

D.A. : Le rythme de votre cinéma est très différent parce que – c’est assez étrange – il n’y a pas beaucoup de coupes, mais le rythme est très intense. Je vais prendre deux exemples : dans Hunger, la scène avec le prêtre est incroyable. On a l’impression que cela va tellement vite, mais il n’y a en réalité que deux coupes – l’une est un plan large avec le prêtre et Bobby, et l’autre coupe intervient lorsque Bobby est en train de dire son monologue. Néanmoins, on sent ce rythme très rapide et il y a des dialogues. Pour l’autre exemple, vous pouvez prendre n’importe quelle scène de danse dans Lovers Rock. On voit que vous faites confiance à votre caméra, à vos acteurs, à la musique, pour donner au spectateur cette impression de rythme. Comment approchez-vous le rythme dans votre cinéma ?

S.M.Q. : Deux exemples, mais on pourrait en prendre d’autres : dans Shame, dans 12 Years a Slave, on est toujours un petit peu à la limite, car, à tout moment, quelqu’un peut basculer ; et on veut de la tension dans des scènes spécifiques. C’est cela que l’on veut pour le public, parce qu’on veut tenir le public ; parce que dès que l’on coupe, on permet au public de respirer, de se détendre. C’est comme quand on change de vitesse dans une voiture : on n’a pas envie de changer de vitesse. Il faut que les gens soient toujours là, attentifs ; et, en fait, la question la plus importante est de savoir quand couper.

D.A. : Est-ce que vous avez eu des doutes lorsque vous avez commencé le projet de Hunger, au sujet de la direction d’acteur ?

S.M.Q. : Non, parce que j’aime les acteurs. J’aime aussi coopérer avec les autres, donc ce n’est pas une question qui me préoccupe. Il est très important d’avoir ce genre de situations où vous soutenez et aidez les acteurs afin qu’ils atteignent le maximum de leurs capacités. Ce qui m’intéresse avec les acteurs, c’est que je veux, moi, arriver à un stade où ils deviennent un peu comme une sphère.[6] Peu importe ce qu’ils font et comment ils le font, ils ont alors raison. On arrive à ce stade où ce n’est pas dirigé mais où ils ressentent davantage qu’ils peuvent avoir confiance en eux-mêmes pour faire ce qu’ils veulent, parce qu’ils deviennent le personnage.

D.A. : Et vous leur faites totalement confiance ! Michael Fassbender, dans Shame, dans Hunger, Carey Mulligan, Viola Davis dans Widows… Vous leur donnez quelque chose et les uns et les autres ont dit des choses merveilleuses sur vous. Comment définissez-vous la façon dont vous leur parlez, dont vous les dirigez ?

S.M.Q. : Je pense que c’est l’honnêteté. Ce sont des acteurs et, ce que je veux dire par là, c’est qu’ils veulent donner ; mais à qui veulent-ils donner ? Moi, je dois être la personne à laquelle ils veulent donner et c’est à moi qu’ils doivent faire confiance, un petit peu comme s’ils devaient s’ouvrir. Cela, c’est mon travail. Peut-être qu’ils peuvent me faire assez confiance pour que je fasse ce travail correctement.

D.A. : Nous avons parlé des luttes, des combats – il y en a plusieurs différentes dans votre travail. Voici une question à la fois simple et complexe : pourquoi ?

S.M.Q. : Pourquoi ? C’est une bonne question. Cela parle de liberté, de ce qu’on veut devenir, de ce qu’on a besoin de devenir, de ce que nous pouvons devenir ; Si vous restez assis, rien ne se passe ; si vous vous mettez en mouvement, alors il y a forcément quelque chose qui se passe. Je crois donc qu’il faut continuer à avancer ; et le cinéma est une chose merveilleuse pour cela, car le film tourne dans la caméra. Avancer est nécessaire et c’est la seule chose que je puisse faire. Tout cela a à voir avec une recherche de liberté, une quête d’une certaine compréhension tout en traitant des difficultés. Il ne faut pas être aveuglé[7] mais ouvrir les yeux, même si cela est parfois désagréable, pas extrêmement plaisant. Cela ne m’intéresse pas de faire quelque chose comme Disney, car cela correspond à ce à quoi les gens veulent que le monde ressemble. Il y a donc une différence, et cela correspond à celle entre les cinéastes (« filmmakers ») et les réalisateurs (« movie-makers »), ou entre l’art et le contenu. C’est à vous de décider !

D.A. : Dans ce cas, j’aimerais voir votre version de The Avengers.

S.M.Q. : Ils meurent tous !

D.A. : Vous êtes un artiste très politique, on le voit avec Hunger ; mais, c’est assez étrange, parce que vous êtes en même temps très apprécié des institutions – vous êtes Chevalier, vous faites des films en Angleterre sans avoir trop de difficultés pour les financer… Est-ce que vous réalisez que vous êtes l’un des cinéastes les plus rebelles ?

S.M.Q. : J’ai fait de mon mieux pour échouer ! J’ai fait un film sur la grève de la faim, sur l’esclavage, sur l’addiction au sexe… mais il s’avère que les gens sont intéressés par ces différents thèmes. Au moment de faire 12 Years a Slave, les gens m’ont dit : « c’est un film impossible à faire». J’ai dit : « et bien, oui ». Avant ce film, il n’y avait pas beaucoup de films sur le sujet, à part les westerns, par exemple ; donc c’était une idée nouvelle. En fait, le problème est que l’on a un rôle principal qui est celui d’un homme noir, ce qui ramène à l’idée que le film, au moins aux États-Unis, ne pourrait jamais rapporter d’argent ; mais cela était faux ! On ne sait pas ce que les gens vont penser. Il faut que les gens voient des choses différentes ; et on pourrait imaginer que les gens aient envie d’aller voir un film comme celui-là.

D.A. : Quand vous parlez des films avec un rôle principal tenu par un Noir qui ne rapporteront pas d’argent, c’est effectivement une idée fausse : il y a d’autres exemples au-delà des Etats-Unis.

S.M.Q. : Les choses ont beaucoup changé grâce à 12 Years a Slave, parce que c’est un film qui a justement rapporté beaucoup d’argent – 58 millions de dollars aux États-Unis. Les producteurs ont réagi. Il y a des films avec des protagonistes noirs qui ont gagné 200 millions de dollars. Si un sujet gagne de l’argent, alors, on est soutenus. Voilà comment les films sont faits.

D.A. : Votre film a aussi permis à de nouvelles voix de s’exprimer.

S.M.Q. : Non, je ne crois pas. Ces voix ont toujours été là mais il était très difficile de faire certains films avant 12 Years a Slave : ils ne trouvaient pas de financements. Après, cela a été plus facile ; ils ont compris que des films avec des rôles noirs pouvaient rapporter de l’argent.

D.A. : Est-ce qu’il a été très difficile de faire ce film ?

S.M.Q. : Non, cela n’a pas été difficile du tout. J’ai voulu le faire donc on est simplement passés au plan B, et certains ont participé. Une des raisons pour lesquelles ce film a été réalisé est qu’Obama était Président, à l’époque ; donc il y avait une certaine demande pour ce genre de film. Ensuite, on s’est dit : « allons-y, faisons ce film » ; mais comme ils voulaient gagner de l’argent avec ce film, il y a eu cette réaction à retardement.[8]

D.A. : Qu’en est-il de la question du racisme dans vos films ?

S.M.Q. : Je ne comprends pas la question.

D.A. : Quand vous parlez de racisme, vous parlez de victimes, vous parlez de questions politiques mais tout tourne autour du personnage. Est-ce que vous êtes d’accord ?

S.M.Q. : La raison pour laquelle j’ai fait Small Axe, par exemple, c’est que j’ai voulu parler d’histoires que je connaissais. Il y avait des histoires incroyables comme Mangrove, Lovers Rock ou Red, White and Blue qui se devaient d’être racontées et de bénéficier d’une plateforme, car ces histoires ne sont pas des reliques du passé : il ne s’agissait pas de revenir à la fumée de ces reliques mais de montrer que ces événements ont lieu aujourd’hui. Vous pouvez faire une comparaison entre Leroy Logan, l’officier de police dans Red, White and Blue, et John Boyega dans Star Wars : ces deux-là étaient les têtes d’affiche de leurs sociétés et on leur a tous deux tiré le tapis sous les pieds.[9] Cela concerne donc ce qui se passe maintenant. Ce qui m’intéresse, c’est de voir le voyage que les gens suivent et comment ils peuvent se référer au passé pour parler du présent.

D.A. : Spike Lee est le Président du jury à Cannes. Je ne crois pas qu’il y ait déjà eu une Palme d’or dirigée par un réalisateur noir. Vous avez eu l’Oscar pour 12 Years a Slave. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Y a-t-il une évolution ?

S.M.Q. : Je crois que peu m’importe, car, aujourd’hui, les films sont assimilés aux prix et les prix aux films. Or, nous n’avons pas de contrôle sur les membres du jury et qui choisit les films. Le seul contrôle que nous ayons est d’essayer de faire le film que l’on veut faire, c’est tout. Lorsque j’ai fait 12 Years a Slave, je ne pensais pas à tout ça, j’essayais juste de faire mon film. Je n’ai donc aucun intérêt pour le reste, ni aucun pouvoir dessus. Ensuite, qu’il y ait des prix ou qu’il n’y en ait pas, on s’en fout ![10]

D.A. : Les films que vous faites sont des films d’auteur, qui sont plus difficiles à distribuer en salle. Chaque film de Small Axe, mérite, bien sûr, de sortir en salle. Est-ce que l’industrie va dans la bonne direction, selon vous ? Est-ce que c’est une bonne chose, pour vous, de faire des films même s’ils ne sortent pas en salle et que cela est du streaming ? Est-ce que on voit le film est important pour vous ?

S.M.Q. : Comme beaucoup de monde, j’ai vu plusieurs de mes films préférés pour la première fois à la télévision ; mais rien n’est mieux que d’aller dans une salle pour voir un film – le son, l’image, le fait que le public réagisse, apprécie… Il y a une sorte de chimie dans la salle et rien n’est mieux que cela. Moi, je préfère voir des films qui sont tournés pour les salles. C’est un petit peu comme voir une peinture dans un musée et voir une reproduction dans un magazine. L’original, dans un musée, est beaucoup plus puissant.

D.A. : Lorsque j’ai vu la scène de la pendaison dans 12 Years a Slave, avec le chien sur le même plan, cela n’aurait pas été aussi puissant à la télévision.

S.M.Q. : Non, cela aurait été trop petit ! Et sur le téléphone, vous imaginez !

D.A. : Est-ce important pour vous de participer aux festivals et de rencontrer le public ?

S.M.Q. : C’est très important. Je me souviens, la première fois à Cannes, en 2008, c’était magique. Il y avait des gens qui en arrivaient presque à se battre au sujet des films. Je me suis dit : « ça, c’est une affaire sérieuse ! C’est une affaire de survie » ; donc, projeter Hunger à Cannes, pour la première fois, était incroyable. Cette ovation que j’ai reçue, c’était extraordinaire. Michael Fassbender à l’écran, c’était extraordinaire. C’était le meilleur moment de ma vie et on n’y reviendra pas, malheureusement.

D.A. : Qu’est-ce que vous pensez de Spike Lee comme Président du jury ?

S.M.Q. : C’est magnifique, il fait des chefs-d’œuvre. Je me rappelle avoir vu ses films pour la première fois et j’étais époustouflé. Ensuite, je ressortais et je me disais : « c’est incroyable ; c’est ça, le cinéma, le cinéma qui a un énorme impact sur les gens ».

 

Débat avec la salle

Question – Bonjour. Il y a quelque chose qui me fascine dans votre travail, c’est votre utilisation de l’ambiguïté. Bear, l’un de vos premiers courts métrages, permet au public de projeter leurs propres idées dans le film. Lovers Rock aussi, avec ce personnage qui fait quelque chose d’épouvantable. De façon très courageuse, vous permettez au public d’interpréter ce moment comme il le souhaite. C’est puissant, car c’est tellement ambigu. Est-ce que l’ambiguïté au cinéma, pour vous, est naturelle, va de soi, ou est-ce que vous réfléchissez de façon très en détail avant de déployer ce type d’ambiguïtés dans vos films ?

S.M.Q. : C’est comme la vie, c’est comme la morale et comment l’on trahit ses valeurs. Au cinéma, il y a les bons, les méchants – des personnages qui sont intrinsèquement bons, intrinsèquement mauvais – c’est une réalité que je connais, qu’il s’agisse des hommes ou des femmes, d’ailleurs. Parfois, ce sont les mauvais qui gagnent.

Vous avez parlé d’être « courageux ». Les gens me disent souvent : « ce type dans ‘Lovers Rock’, qui fait du mal à cette femme… il n’y a aucune sanction ». Je me dis que ce qui est intéressant, dans cette scène, c’est que c’était un endroit où les méchants ainsi que les Noirs pouvaient organiser des soirées entre eux – parce que les personnes noires n’étaient pas admises dans les discothèques ou ailleurs. Bien entendu, il y avait des personnes intrinsèquement mauvaises et cela serait une trahison pour moi de ne pas montrer cette réalité dans mes films. C’est pour ça que les choses ne sont pas toujours très belles à voir, mais c’est typique de l’être humain.

Question – J’aime bien la façon dont vous travaillez avec les acteurs, en termes de pré-production, et, aussi, lorsque vous tournez. Je sais que chaque acteur est différent, mais est-ce que vous avez une méthode ? Est-ce que vous laissez beaucoup de liberté aux acteurs ?

S.M.Q. : Le plus important, c’est de bien les choisir avant de commencer. Ensuite, il faut apprendre à bien les connaître ; il faut discuter avec eux, parler du script, du personnage. Puis, il y a les répétitions. Cela aussi, est intéressant. Si l’avion est en train de décoller, on ne peut pas vraiment dire : « il faut arrêter ». Il faut faire attention : certains acteurs atteignent leur sommet très tôt, d’autres mettent plus longtemps pour vraiment commencer à bien jouer. Il faut trouver le bon moment, le juste équilibre, décider ce qu’il faut tourner en premier ; et puis il y a l’ambiance, qui compte aussi. Il faut beaucoup discuter. En gros, les acteurs sont comme des athlètes qui vont participer aux Jeux olympiques – cela fait quatre ans qu’ils s’entraînent pour faire le 400 mètres ; et, quand le départ est sonné, ils sont souvent fin prêts. Il faut juste les aider à devenir le personnage ; il faut même les aider à aller au-delà, parce qu’ils ne savent parfois pas eux-mêmes. Cela peut-être difficile, compliqué, d’apprendre à connaître un acteur, mais c’est une question de confiance : si l’acteur vous fait confiance, cela marche tout seul. Il faut créer cette confiance ; il faut être très honnête en tant que réalisateur. J’ai parfois l’impression que certains réalisateurs ne le sont pas : ils essayent de jouer, comme un jeu, et je pense qu’il est très important d’être tout à fait honnête.

D.A. : Vous avez dit que le plus important était de bien choisir les acteurs. Comment est-ce que vous savez si vous avez trouvé le bon ? Est-ce pendant le casting ?

S.M.Q. : Je ne sais pas. Je ne peux malheureusement pas l’expliquer ; je ne trouve pas les mots pour décrire le phénomène. Parfois, ce n’est pas la personne à laquelle on avait songé au départ. Je me rappelle du cas de Michelle Rodriguez, de Fast and Furious, dont on m’avait dit : « elle est difficile, elle est ci, elle est ça ». Cette actrice était juste incroyable, il faudrait lui donner des rôles plus intéressants.

Question – Comment avez-vous fait pour découvrir votre propre identité en tant que Noir, en tant que Britannique ?

S.M.Q. : La plupart des membres de ma famille vivent aux États-Unis, à New-York ou en Floride. C’est pourquoi depuis l’âge de sept ans – depuis la mort d’Alice – j’ai été à New-York ; donc c’est un pays que je connais bien. La diaspora, c’est moi ; je fais partie de cette diaspora, à Londres, à New-York ou dans les Antilles. Cela n’a jamais été un problème pour moi. Je suis une personne complexe : mes ancêtres sont partis de la Grenade, puis d’autres ont émigré vers le nord des États-Unis. Je me rends aux États-Unis régulièrement depuis mes sept ans.. Je ne suis pas américain pour autant, mais, oui, la plupart des membres de ma famille le sont ; donc j’improvise, je comprends et cela n’a jamais été un problème pour moi.

D.A. : Pensez-vous qu’il va y avoir une réaction artistique par rapport au mouvement Black Lives Matter ?

S.M.Q. : C’est déjà en cours ! C’était d’ailleurs déjà en cours avant, depuis pas mal d’années.

Question – Quels conseils donneriez-vous à une femme qui a presque votre âge et qui souhaiterait faire partie de cette industrie ?

S.M.Q. : Faites de bons films, c’est ça qui compte !

Question – Nous avons parlé de 12 Years a Slave. Il y a une très longue scène. Comment faites-vous pour maintenir cette intensité ?

S.M.Q. : Je suis moi-même descendant d’esclaves, donc je ne ferais pas bien mon travail si je ne prenais pas les choses au sérieux. Je voulais que les gens voient les choses en face.[11] Je ne voulais pas détourner le regard. Je voulais que les gens fassent face, non seulement à la torture physique mais également psychologique de cette scène ; car, après la pendaison, les gens sortent de leurs cabanes (« slave cabins ») et reprennent le travail. On voit ce métayer faire des va-et-vient en s’assurant que personne ne perturbe la situation. Il s’agissait donc de savoir comment construire un tel moment et, également, comment le maintenir ; et ce, au-delà de l’ennui.[12] Puis, cela recommence et vous coupez ensuite la caméra. Vous ne pouvez faire cela qu’au cinéma.

D.A. : Question pratique : vous êtes passé maître en termes de prises longues…

S.M.Q. : Cela a commencé avec Hunger, je crois – je ne compte pas le nombre de films. Ce n’est pas une question de longueur – ce n’est pas ce qui m’intéresse – mais ce que l’on peut créer grâce à ces longues prises. Je n’y avais jamais réfléchi avant qu’on me le fasse remarquer. C’est une forme de langage que l’on peut employer, dont on peut se servir à bon escient dans les films. Tout est question de comment on s’y prend. En fait, il y a aussi les gros plans, les plans très larges… cela fait partie du langage du cinéma. Les gens en parlent parce que cette méthode est très puissante. En fait, je me sers de ces prises très longues parce que c’est absolument nécessaire, cela sert mes films.

D.A. : Vous ne visez pas le livre Guinness des records !

S.M.Q. : Non, absolument pas, ce n’est pas mon but. La première fois que j’ai pensé à tout cela, c’était pour mon premier long, Hunger. Pour moi, les personnages de Bobby Sands et du prêtre étaient comme Jimmy Connors et et John McEnroe lors de leur finale de Wimbledon. Ils avaient des stratégies différentes : Bobby, comme McEnroe, essaye de gagner la partie rapidement, tandis que le prêtre, comme Connors, essaye de gagner du temps. Le prêtre vise le long terme et Bobby, lui, vise le court terme,[13] ces deux Irlandais voulant pourtant la même chose. Le film tourne autour de la thématique de la liberté.

Question – Entre documentaire et fiction, comment avez-vous décidé pour Hunger ?

S.M.Q. : La thématique voulait que cela soit une narration : c’est l’idée qui dicte la forme du film ; ce n’est pas moi qui choisis le format, mais le sujet du film qui dicte la forme à adopter. La narration s’est imposée à moi car cela devait être un long-métrage. Je me suis dit : « puisque c’est ainsi, avançons, je vais faire mon premier long-métrage ».

Question Entre le moment où vous préparez le film et le moment du tournage, quelle est la part d’improvisation que vous vous laissez, que ce soit dans votre mise en scène ou votre direction d’acteur ?

S.M.Q. : En fait, je ne crois pas au hasard. Je pense qu’il faut un très bon scénario ; je ne me dis pas : « je vais improviser cette scène » ou « je vais attendre plus tard ». Il faut un très bon scénario, et, à ce moment-là, on est libre d’improviser. Le script, pour moi, c’est vraiment la Bible, c’est le guide. Parfois, je vois ou j’entends quelque chose chez un acteur et je me dis : « bon, on va suivre cette voie », mais tout ne se décide pas une fois le tournage commencé. Lorsqu’on répète, on trouve parfois de bonnes idées. On adapte le scénario. Il y a une forme de magie qui s’opère. Je ne dis pas que je n’improvise jamais, mais il faut que ce soit organique. Il n’y a pas de règles pour moi : il faut que l’improvisation se fasse pour une raison donnée. Il ne faut pas improviser juste pour improviser. Il y a parfois des choses qui se passent et qui créent le moment idéal pour l’improvisation ; et cette improvisation n’est pas prévisible, c’est un saut dans l’inconnu. Cela m’est arrivé quelques fois et c’est magnifique ; je me dis : « waouh ! »

D.A. : Est-ce que cela est beaucoup arrivé pour Lovers Rock ?

S.M.Q. : Oui, il y avait pas mal d’improvisation et c’était juste magnifique. C’était tellement vrai, lorsque les gens dansaient, lorsque les gens interagissaient, ce qui se passait dans ces moments-là. Il y avait de jeunes acteurs noirs qui jouaient des personnages qu’ils connaissaient personnellement ou qui chantaient des chansons qui dataient de leur enfance. Ils faisaient des choses absolument incroyables parce qu’ils étaient totalement pris par le moment.

D.A. : Est-ce que vous le voyez immédiatement, pendant le tournage, lorsque de tels moments se produisent ?

S.M.Q. : Oui, absolument, c’est magique ; cela se fait tout seul. Ce sont des moments qui apparaissent, qui sont fugaces et pour lesquels on se demande : « c’est dans la boîte ? La caméra tourne ? » C’est de la pure magie. Un autre exemple est celui de Shame, quand le personnage joué par Michael Fassbender a un plan à trois et que Michael choisit de regarder droit dans la caméra au moment où son personnage a un orgasme ; et c’est incroyable. Il vous regarde alors le regarder ; il se regarde lui-même, en quelque sorte. Cela est formidablement inconfortable, mais tellement authentique, car le sexe est quelque chose de très bizarre. C’est ce que disait le monsieur un peu plus tôt, au sujet de la morale ou de l’absence de morale : qu’est-ce qui vous fait vous sentir bien et qu’est-ce qui n’est pas nécessairement éthique ? Quand Michael regarde droit dans la caméra, c’était comme le Dr. Jekill & Mr. Hyde ; c’était extraordinaire.

Question – Je voulais justement parler de Shame. Il est vrai qu’il y a beaucoup de sexe dans le film, mais il me semble que c’est un film très profond, le film sur le sexe le plus profond que j’ai vu. Comment se sont passées la production et la distribution de ce film ? Quels problèmes avez-vous rencontré ? Était-ce plus difficile à cause de la thématique abordée ?

S.M.Q. : Pour être très rapide, je voulais tourner le film au Royaume-Uni mais je n’ai pas pu le faire à ce moment-là car il y avait des polémiques autour de diffamations dans les médias. Quand nous avons commencé à interroger des personnes souffrant d’une addiction au sexe, il y eut pas mal de suspicion, car les gens pensaient que nous étions la presse et que nous voulions des gros titres. Il me semble qu’à ce moment-là, on parlait du scandale de Tiger Woods, donc les gens ne voulaient pas trop parler. Ma coscénariste, Abi Morgan, et moi-même avons donc voulu aller voir ce qui se passait à New-York, la ville qui ne dort jamais. Nous avons pu y parler avec des personnes souffrant d’une addiction au sexe ainsi qu’à des spécialistes. C’était comme si nous étions entrés dans la matrice[14] et que nous voyions maintenant le monde avec d’autres yeux grâce aux informations que nous avions reçues. Cela était à la base de notre projet ; le récit est venu grâce aux recherches, une chose en entraînant une autre. Shame est un film étrange, un film difficile, et celui sur lequel les gens m’interrogent le plus.

D.A. : Vous n’êtes pas rebuté par les films difficiles, par la violence…

S.M.Q. : La seule raison pour laquelle nous sommes ici est la violence ! Soyons honnêtes, cela s’appelle l’Histoire !

Question – Vous avez dit faire de l’art et non du contenu, d’où ma question : vous avez parlé de films qui rapportent de l’argent mais il y a aussi des films qui doivent réussir du point de vue de la création. En tant qu’acteur, pendant toute ma formation, on a toujours tout misé sur le travail. Cette année, pour la première fois dans ma carrière, j’ai pu parler de la commercialisation du film. J’ai assisté à un casting, on ne m’a rien proposé, les gens m’ont dit : « c’est magnifique, mais vous n’êtes pas assez connu ». En termes de casting et de vente du film, on peut certes parler de création, de travail, mais aucun professeur, aucune école n’enseigne comment être connu pour que les gens puissent vendre leurs films alors qu’on nous parle, nous, de qualité de travail.

S.M.Q. : Je pense que le travail est primordial ; mais le cinéma est de l’art, pour moi : il ne faut pas faire compliqué au lieu de faire simple, il faut se concentrer sur son travail. Si vous voyez quelque chose d’absolument incroyable qui vaut 10 000 dollars, 15 000 dollars, cela veut dire que l’œuvre a une valeur intrinsèque. Je sais que l’on parle beaucoup d’argent ; c’est franchement embêtant. Combien de paires de chaussures pouvez-vous porter ? Je sais qu’il faut acheter de quoi manger, qu’il faut payer son loyer, mais, franchement, moi je souhaite juste faire ce qui m’intéresse dans la vie. Il y a parfois des gens qui me disent : « toi tu es toujours là, alors que des pairs sont passés de mode ». Je ne dis pas qu’il faut nier la valeur du travail, au contraire, il faut justement beaucoup travailler pour réussir. Moi, j’ai essayé d’échouer, et cela ne s’est pas produit. En fait, j’ai choisi des thématiques très étranges pour mes films. En tant qu’acteurs, vous acceptez parfois tels ou tels rôles parce que cela vous plaît, et c’est cela qui compte. Ce ne sont pas les 100 000 dollars qui doivent dicter vos choix. Même s’il s’agit de petits rôles, il faut faire ce que vous avez envie de faire ; vous êtes des artistes et il faut rester des artistes avant tout. Il y a des choses qu’on ne peut pas maîtriser, mais, là où il est possible de maîtriser la situation, c’est quand on décide de qui l’on veut être, de ce que l’on veut créer.

Question – Qu’est ce que vous recommandez pour des débutants qui rêvent d’être acteurs dans des films faits par des personnes connues ?

S.M.Q. : Je ne sais pas comment répondre, je ne sais pas. Il faut juste continuer à travailler. Si vous travaillez bien, quelqu’un va vous remarquer. Continuez à faire du bon travail, sur les tréteaux ou au cinéma.

Question – Il y a eu une polémique autour du fait que The Irishman de Martin Scorcese n’était disponible que sur Netflix. Certains de vos films sont également disponibles sur Netflix. Seriez-vous d’accord si Netflix vous demandait de travailler avec eux, et pas seulement pour des raisons financières ? Est-ce que cela vous dérangerait que vos films soient uniquement sur Netflix et non sur tous les grands écrans du monde ?

S.M.Q. : Lovers Rock était en fait une collaboration avec la BBC et Amazon. Comme je l’ai déjà dit, je préfère le grand écran, personnellement. Cela dépend de comment vous pouvez négocier cela. J’ai fait Small Axe pour des plateformes de streaming, mais on vient juste de parler de la distribution en France, dans les cinémas… Peut-être qu’un jour, il faudra que je demande encore de l’aide aux plateformes pour faire tel ou tel film, mais je préfère le grand écran.

Question – Gardez-vous toujours votre vision d’origine du film avant le dernier montage ? Shame était votre deuxième film, vous l’avez fait avant 12 Years a Slave, ce n’était pas évident. Est-ce que cela a changé la donne ?

S.M.Q. : J’ai fait le film que je souhaitais faire et il est sorti comme je souhaitais qu’il sorte. Je savais qu’il ne serait pas coupé d’aucune manière qui soit, et puis voilà. Je sais bien que les gens ne souhaitaient pas que le film soit catégorisé NC-17, même si je ne savais pas ce qu’était NC-17 à l’époque. Au final, c’est le film avec la mention NC-17 qui s’est le mieux vendu après Showgirls, allez comprendre ! Votre vision est la vôtre et il faut que le marketing s’adapte. En tant qu’artiste, vous voulez évoluer. Si vous ne respectez pas vos idées d’origine, vous n’arriverez jamais au stade où vous marchez sur vos deux jambes. Si des personnes extérieures commencent à manipuler votre vision lors du montage ou autre – ce qui ne veut pas dire qu’elles ne puissent pas faire des suggestions pertinentes – alors, cela devient un film à la Frankenstein ! Ce film est sorti en 2011, mais les gens ne cessent d’en parler, ce qui prouve le bien-fondé de ce que je vous dis.

Question – Je voudrais savoir si la crise sanitaire aura un impact sur vos choix ? Est-elle une source d’inspiration pour-vous ?

S.M.Q. : C’est une bonne question. Quelqu’un qui fait un film aujourd’hui se trouve face à beaucoup de difficultés, car ce sera difficilement un film sur l’époque actuelle ! Personnellement, mon prochain film sera dans le passé.

D.A. : Pas de masques, donc, dans votre prochain film !

S.M.Q. : Non, c’est un film qui se situe soixante ans auparavant.

Question – Quels sont vos réalisateurs préférés ? Qu’est-ce qui vous pousse à continuer à travailler ?

S.M.Q. : J’aime beaucoup Zéro de conduite de Jean Vigo. Ce film m’a beaucoup frappé. Cette sorte de révolution dans une pension, la liberté, l’imagination, la magie, j’ai trouvé que c’était absolument extraordinaire ; c’est cela qui m’a beaucoup marqué, ainsi que le fait qu’il était anarchiste. J’ai réalisé que l’on pouvait utiliser les films comme un véritable outil, et non comme une simple décoration ; que cela pouvait ouvrir la voie à beaucoup d’idées, de possibilités, tous les jours. Cela a été une énorme inspiration pour moi. Qu’est-ce qui m’inspire maintenant ? C’est tout ou rien. Je pense que c’est un point important pour tout le monde ici, que vous soyez acteur, réalisateur, cinéphile… Lorsque j’ai fait Hunger, je pensais que ce serait peut-être mon premier et mon dernier film. Je ne voulais pas avoir de regrets, peu importe l’issue. Il faut pouvoir vous dire : « j’ai essayé, j’ai fait le film et il est ce qu’il est ». Voilà qui vous voulez être. N’acceptez les compromis que si cela vous rend service. Ne faites pas de compromis si cela rend service à quelqu’un d’autre.

D.A. : Merci beaucoup Monsieur Steve McQueen !

[1] 7:20 : « As a filmmaker, (…) sort of look at it ; and, in some ways, try to sort of have an idea on what it can be, but, actually, at the same time, what it is. »

[2] 8:40 : « it doesn’t have to be monumental as a subject ».

[3] 9:10 : « it’s a short composition ».

[4] « shot composition ».

[5] « as a storyteller ».

[6] 15:10 : « I want to get to a point with them where they become a sphere ».

[7] « not be blinkered »

[8] « that was the double take ».

[9] 25:25 : « Both of these guys were poster boys of these corporations and they both had the carpet pooled underneath their feet ».

[10] 27:00 : « who gives a shit, litteraly ».

[11] 42:05 : « I wanted to put it in people’s faces ».

[12] « how to hold it, and to hold it beyond boredom »

[13] « The priest is playing the long game and Bobby is playing the short game ».

[14] 53:30 : « it was like as if you’d walked into the matrix ».

Un grand merci à Mélanie Russeil-Salvan pour la traduction de l’anglais de cette masterclass.

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