Histoire du Fespaco : entretien avec Filippe Savadogo

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Filipe Savadogo a été délégué général du Fespaco de 1984 à 1996. Il fut ensuite Représentant personnel du Président du Burkina Faso au Conseil permanent de l’OIF, Délégué permanent du Burkina Faso auprès de l’UNESCO et Ambassadeur du Burkina Faso auprès de la République française, de l’Espagne, du Portugal, du Vatican et de Malte jusqu’en 2007, puis Ministre de la culture, du tourisme et de la communication, porte-parole du gouvernement jusqu’en 2011 et Représentant permanent de l’Organisation internationale de la francophonie à New York jusqu’en 2014. Nous l’avons rencontré à l’occasion du Fespaco 2023 pour envisager l’Histoire du festival. O.B.

Olivier Barlet : Quelles seraient les spécificités du Fespaco ?

Filippe Savadogo : Lorsqu’on est sorti du moule de la Révolution de 1983 avec la dimension sankariste, cela coïncidait avec la Charte d’Alger du cinéaste africain, pour un cinéma de combat et de conscientisation des peuples, avec une dimension disons « cégétiste » qu’Ousmane Sembène a portée toute sa vie.

Le cinéma étant la synthèse de tous les arts, alors que le phénomène du sous-développement est global, chaque Fespaco a eu un thème central coiffant le festival en nous amenant à réfléchir lors de colloques, y compris sur les autres arts qui alimentent les problématiques du cinéma. Je fais partie de cette génération convaincue que nous devons exister par nous-mêmes, avec des Africains devant et derrière la caméra.

Mais il fallait aussi intéresser les Ouagalais par des stratégies, en leur montrant de grands films et en faisant venir au Fespaco des écrivains célèbres – un système de balancier en somme. Les grands concerts de 30 000 spectateurs animaient le stade du 4 août à partir de 1985 avec Tabu Ley et M’Billia Bel. Cet environnement festif permettait aux Ouagalais une immersion culturelle totale. Cannes n’est-il pas aussi le festival de la fête ? Sembène, qui voulait « sentir son pubic « , venait volontiers à tous les FESPACO.

A la disparition de Sankara, tout le monde pensait au boycott mais Sembène a dit que le Fespaco n’appartenait pas uniquement au Burkina. Il ne fallait donc pas casser une dynamique continentale.

Le Fespaco est devenu comme une école à ciel ouvert sur les métiers du cinéma. Le délégué général actuel recentre avec bonheur le professionnalisme sur les industries du cinéma, insufflant son savoir-faire acquis à travers le monde. Sans cette dimension, nous aurions eu du mal à maintenir l’attirance constante du Fespaco qui a enclenché avec les nouveaux paradigmes du 21e siècle.

La création du MICA date de l’époque de Sankara ainsi que la dimension télévision qui a été ajoutée au festival ?

Filippe Savadogo en juillet 2014, Treehill / Wikimedia Commons

Avec la création du MICA en 1983, au moment où Sankara était Premier ministre, et le mot télévision ajouté au titre du festival en 1987, nous répondions à certaines menaces sur le festival. C’était une décision stratégique car des pays africains s’apprêtaient à créer un festival de télévision africaine ; nous ne voulions pas que cela nous échappe. Il y a même eu plusieurs tentatives pour nous prendre le Fespaco, certains pays ayant finalement créé de petits festivals en embuscade. Mais le Burkinabè est tellement accueillant qu’il donne sa couchette et dort par terre. Les cinéastes l’ont bien compris. Désiré Ecaré avait même créé un restaurant à Ouaga. Le Fespaco s’est ainsi battu pour tenir sa place de « Mecque du cinéma afriain ».

La FEPACI est née à Dakar et y est restée dix ans durant. En 1985, le « congrès de la rénovation » eut lieu à Ouaga, qui élut Gaston Kaboré comme Secrétaire général. Il a géré la FEPACI de mains de maître. Plus tard, le siège fut finalement déplacé en Afrique australe. Une fois élu, Cheick Oumar Sissoko l’a ramené à Ouaga, reprenant les locaux donnés par le Burkina, qui étaient encore en place sur l’avenue Kwamé Nkrumah.

Il y eut des soubresauts, des contestations…

Au début des années 80, des jeunes cinéastes venus du Sénégal comme Cheikh Ngaido Ba ou William Ousmane Mbaye avaient créé le collectif l’Œil vert. La vieille génération ne parlait que de colonisation et post-colonisation. Idrissa Ouédraogo était dans la même ligne car Il voulait faire un cinéma différent, avec des histoires d’amour, de jeunesse, de bandits, qui ne soient pas faits avec des bouts de ficelle avec un seul message militant.

Le Collectif l’Oeil vert n’avait-il pas aussi une démarche esthétique, avec le fameux « plan thieboudienne » où la caméra se mettait au niveau des gens qui mangent par terre plutôt qu’en plongée ?

Oui, c’était un peu fumeux ! Ils voulaient modifier le rapport à l’image et disaient qu’ils ne voulaient pas faire du cinéma calebasse, misérabiliste.

C’est une expression que j’ai surtout vue appliquée à des films d’Adama Drabo par exemple…

Oui, les idées perdurent. Idrissa Ouédraogo a même tourné en Afrique du Sud Kini et Adams, ou à Lyon Le Cri du cœur. On parlait de cinéma calebasse pour un cinéma fait avec des bouts de ficelle.

Les cinéastes de l’Oeil vert se démarquaient du cinéma calebasse en disant qu’ils voulaient faire un cinéma hollywoodien. Les grands réalisateurs d’Hollywood anticapitalistes ont fait de grands films : Spike Lee, Francis Coppola, Oliver Stone, etc. Mais avant, ils ont coopéré face aux dictats hollywoodiens. On a critiqué le camerounais Jean-Pierre Bekolo sur ses premiers films en lui reprochant de faire du cinéma bourgeois ! Bassek Ba Kobhio également ne disait pas non à la modernité…

Tous ces débats ont traversé le Fespaco ?

En effet, c’est une succession de générations. Apolline Traoré toute adolescente avait pour vocation de faire du cinéma et son père nous a demandé notre avis. Elle a finalement fait des études de cinéma aux Etats Unis ; aujourd’hui nous sommes fiers de cette relève et de cette vision prospective.

Pourquoi le festival, instrument de diplomatie mais aussi de validation, n’est-il pas classé par la FIAPF dans les grands festivals compétitifs spécialisés ?

J’ai été bercé par les doyens comme Med Hondo, Ousmane Sembène, et Paulin Soumanou Vieyra qui calmait tout le monde. Il nous fallait nous imposer comme le lieu du cinéma africain avant tout. Le cinéma africain est né des actualités cinématographiques et de la coopération culturelle des années 60. Je ne suis pas dans le militantisme ingrat qui le renierait car c’est le meilleur moyen de faire du surplace. Nous voulions transformer la Charte d’Alger en quelque chose de productif et non des slogans. Il nous fallait déposer nos colères pour structurer notre combat qui n’est pas une lutte contre quelqu’un. C’est pourquoi Sembène Ousmane disait que l’Europe n’est pas le centre du monde, l’Europe est une périphérie de l’Afrique.

La création de la Cinémathèque est-elle ton œuvre?

La Cinémathèque africaine est l’œuvre des réflexions du FESPACO et de la FEPACI. On n’est jamais seuls dans une entreprise. Elle a été inaugurée en 1993. Lorsqu’on a approché Sembène pour ses films, il m’a dit qu’il ne voulait pas que les films soient projetés n’importe où car il fallait protéger les copies, et qu’il fallait donc nommer quelqu’un de confiance. Ardiouma Soma fut désigné. Sembène le considérait comme le gardien du temple et il a donné ses films gratuitement.

Sembène est souvent considéré comme le créateur du Fespaco…

Filippe Savadogo près du buste d’Ousmane Sembène inauguré durant le Fespaco 2023 devant l’entrée du siège.

Les vrais pères d’une action, c’est toujours compliqué. Le mythe, on le fabrique car les gens en ont besoin. Ce n’est pas volontaire. Sembène est un membre fondateur car il était là en 1969, mais du côté des cinéastes : il n’a pas fait partie du comité d’organisation nationale.

Feu Inoussa Ousseini indiquait dans un article que Claude Prieux envisageait avec Sembène et Vieyra un festival quand il dirigeait le centre culturel français de Saint-Louis du Sénégal. Quand il fut muté à Ouaga, il conserva l’idée et Sembène l’encouragea à le faire.

Le FESPACO est né grâce à la volonté des autorités voltaïques de l’époque, de la direction du ministère de l’information et ses animateurs et aussi grâce au centre culturel franco-voltaïque où le ciné-club de Ouagadougou a eu de grands animateurs comme son Président à l’époque René Yonli Bernard. La première Présidente du comité nationale d’organisation fut madame Alimata Salambéré, désignée à l’unanimité par une équipe dynamique qui l’a bien accompagnée.

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