« La voix du corps s’entend »

Exposition Le Geste kongo au Musée Dapper

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Le musée Dapper de Paris présente la statuaire kôngo : éléments de compréhension pour une importante exposition.

Les mauvais esprits n’ont qu’à bien se tenir ! Ils ne résisteraient pas à l’extraordinaire puissance de combat émanant des statues destinées à les chasser. L’accueil est plutôt glacial : une armée de figures, le regard foudroyant et la bouche rugissante saisit le visiteur dans des attitudes de défi, le corps parsemé de clous et de lames tranchantes. Une fois passées ces somptueuses pièces, il poursuit sa découverte, moins agressive mais toute aussi chargée de la statuaire kôngo. Plus de cent figures sont ainsi réunies grâce au prêt d’une douzaine de musées et de collectionneurs, témoignant de la richesse et de la poésie des pratiques religieuses, sociales et politiques des peuples kôngos.
Dualité du monde
Pour les Kôngo, le monde est double. Basé sur la dualité du visible et de l’invisible, son système de fonctionnement repose sur les liens intrinsèques qui lient les vivants et les morts et relient le monde palpable à l’au-delà. Au sein de la communauté, bien que le chef soit investi de par son statut d’un pouvoir sacré, seul le nganga est habilité à communiquer avec l’autre monde. Véritable médiateur entre les deux mondes, à la fois guérisseur et devin, il a la lourde responsabilité d’officiant des cultes. De sa maîtrise et de son expérience dépend la puissance d’action du nkisi qui désigne « toute force enfermée dans un support matériel ». Fabriqué par les seuls initiés, il peut revêtir plusieurs fonctions selon sa forme : instrument de communication avec l’au-delà, symbole de protection d’un individu ou force de guérison. Il est le garant de l’équilibre social grâce à sa maîtrise des forces négatives qui peuvent menacer la communauté. Dans les situations extrêmes comme les périodes de conflits ou d’épidémie qui ravagent la communauté, le nganga déploie tout son talent pour « réveiller le nkisi nkondi » qui peut avoir une forme humaine ou animale. Sa puissance dépendra des matériaux dont il est enduit (terre, argile contenant l’esprit des morts), des accessoires qui le recouvrent (clous, lames, fibres, plumes, dents d’animaux) ainsi que du contenu de son reliquaire.
Le langage du geste
Parce que chez les Kôngo, « le geste facilite la compréhension du monde et de soi », l’expressivité de la statuaire, tant au niveau des postures, attitudes, regards, expressions des visages et déploiement des membres, constitue un véritable alphabet. Les éléments du corps ainsi mis en relation les uns avec les autres font sens et confèrent à la statue un message précis. En position debout le plus souvent pour évoquer la puissance ou l’agressivité, assise dans un signe de sérénité ou de réflexion ou encore agenouillée en signe de respect, la portée du message délivré par les statues est renforcée par les armes et accessoires qui accompagnent le mouvement des membres. Bien que beaucoup de statues aient perdu leurs armes, la force du mouvement corporel est telle qu’elles sont encore présentes dans l’élan du geste et comme inscrites dans l’expressivité du regard. Regard qui joue un rôle prépondérant dans le pouvoir qu’il confère à la statue*. Fermé, il permet la communion avec les ancêtres, ouvert il peut l’être sur la colère – il est alors immense et baigné de blanc – ou sur les dangers qui menacent la communauté – il est alors recouvert d’un morceau de verre assimilé à « des yeux qui voient sous l’eau, sondant l’invisible dans l’océan des ancêtres ».
Un héritage pluriel

Au nombre de six millions, les peuples kôngos regroupent les ethnies Vili, Lâri, Sûndi, Woyo, Bêbé, Yombé et Kôngo principalement originaires du Congo, de la République Démocratique du Congo, de l’Angola et de l’enclave du Cabinda. Selon Jean Nsondé*, le royaume existait déjà au 14ème siècle et les Kôngo nouèrent des premiers contacts avec les navigateurs portugais dès 1482, alors que le royaume était à son apogée. Dès lors, le christianisme commence à pénétrer le royaume, convertissant les chefs, détruisant les « fétiches » et imprégnant certaines pratiques religieuses de symboles christiques tels des crucifix présents dans l’exposition. A la pénétration européenne doublée de la traite des esclaves, le royaume ne résiste pas et disparaît à la fin du XVIIème siècle.
Plus d’un quart des esclaves déportés sur les rives des Amériques étant kôngo, la mémoire de leur peuple à fortement imprégné les zones où ils furent déportés massivement. Des traces perdurent encore dans certains rites vaudou en Haïti, mais aussi dans la gestuelle « fortement imprégnée par la dimension combattante de l’existence humaine », des danses cubaines – la rumba – et brésiliennes – la capoeira. La « pose kôngo » serait même celle adoptée par les majorettes durant les mi-temps des matchs de football américains.
L’héritage kôngo est présenté à l’exposition sous la forme d’un imposant autel réalisé par un officiant cubain du palo monte (religion kôngo-cubaine), Felipe Garcià Villamil. C’est d’ailleurs avec cet héritage par ailleurs très bien valorisé dans le catalogue, que l’exposition atteint ses limites. Présenté à la sauvette dans une deuxième salle un peu « fouillis », malgré la présence de pièces magnifiques, il semble presque déplacé, voire anecdotique à l’image du sens de l’héritage kôngo pour les jeunes descendants américains de ce peuple.

*Un beau catalogue d’une grande richesse documentaire co-écrit par Robert Farris Thompson, Jean Nsodé et Erwann Dianteil accompagne l’exposition. Le Geste Kôngo, éditions Dapper, 2002, 43 euros.Le Geste kôngo, jusqu’au 19 janvier 2003, Musée Dapper, 35, rue Paul Valéry, 75016 Paris – tél. : 01 45 00 01 50. ///Article N° : 2632

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Les images de l'article
Kongo / Yombe (Congo), statuette, bois et pigments dont kaolin, H : 52,2 cm, ancienne collection Baron von der Heydt, Museum Rietberg, Zurich © Museum Rietberg
Kongo (Congo), statuette, nkisi, bois et pigments, H : 9 cm, Musée Dapper, Paris © Musée Dapper, Hughes Dubois
Kongo / Vili (RDC), statuette, nkisi. Bois, métal, pigments, miroir, griffe de léopard. H : 33 cm, collectée avant 1936, ancienne collection Stephen Chauvet, Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren © MRAC, Roger Asselberghs





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