Barbershop, Brown Sugar, For Real et Snipes

Nouveaux films destinés au public afro-américain aux Etats-Unis

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Barbershop, Brown Sugar, For Real et Snipes sont quatre films fort différents qui ont quelque chose en commun : leurs protagonistes sont des Afro-américains qui pour trois d’entre eux travaillent dans la musique, le quatrième n’étant autre que Ice Cube qui s’il est coiffeur dans Barbershop ne l’est pas dans la vie. Pour être plus précis, il ne s’agit pas de n’importe quelle musique mais de hip-hop, cette musique à qui on prédisait une mort précoce il y a maintenant vingt ans. Loin de mourir, c’est en partie grâce à la musique elle-même, à la popularité des rappeurs qui tiennent les rôles principaux et à l’intérêt du public pour le monde de la production que deux de ces films (Barbershop et Brown Sugar) sont en train de faire un tabac au box office et que le troisième, For Real, qui ne devrait pas tarder à sortir dans les salles, devrait lui aussi rapporter gros à ses producteurs. Ces quatre films sont emblématiques de la production américaine contemporaine destinée au public noir, de même que le sont leurs succès ou leurs échecs.
Ainsi, Snipes n’a pas séduit le public. Il est clair que seuls les mordus de rap, de préférence fans de Nelly, y trouveront leur compte. Le jeune Erik préfère travailler pour la belle Cherryl et la maison de production de Bobby Starr, un italien financé par un oncle mafieux, que de finir le lycée et de se faire pistonner par son père pour travailler à la poste. Il se retrouve impliqué dans une histoire de meurtre et de kidnapping qui faillit lui coûter la vie. Le spectateur ne doit cependant pas s’apitoyer de la mort de son meilleur ami puisqu’il fume des joints et parle de ses conquêtes sans se préoccuper des éventuels marmots qu’il aura conçus. Erik en revanche s’en sort en faisant preuve d’une intelligence qui finit par être surréaliste, finalement récompensé par un boulot à la poste, comme voulait papa, et dont on est supposé se réjouir alors que le reste du film nous a fait miroiter les millions de dollars qu’un rappeur médiocre (joué par Nelly, qui ne l’est pas) peut espérer extorquer aux producteurs blancs qui n’y connaissent rien et qui, le film le dit quand même au passage, raflent une bonne part du gâteau. Snipes est l’exemple même du film de  » blaxploitation  » moderne : on n’est pas étonné de voir la moitié de la salle (qui était à 90% afro-américaine) se lever et sortir avant la fin du film pour ne pas en voir la conclusion où le petit Noir dit noblement non à l’argent et à la gloire. Tout le film joue sur la fascination pour la vie de  » gangsta  » des rappeurs à succès, et pourtant on ne sort pas de la représentation médiatique et téléjournalistique du pauvre bougre sans scrupule qui vole, trahit et tue au lieu de faire face à sa médiocrité.
A l’inverse, Brown Sugar présente une image beaucoup plus clean et beaucoup plus afro, du monde de la production musicale. Tre et Sidney sont tombés amoureux du hip-hop quand ils étaient tout petits, l’un faisait la courte échelle à l’autre pour qu’il puisse lui aussi apercevoir les grands inventer le freestyle dans les parcs de Brooklyn. Chacun de son côté et meilleurs amis à distance, ils naviguent désormais parmi leurs idoles du passé et découvrent celles du futur, Sidney en tant que journaliste de XXL, un magazine de rap à grosse diffusion, Tre en tant que producteur pour Millenium Records (qui a justement produit For Real mais dont l’activité principale est bien la production musicale et non cinématographique). A part que le directeur de production de Tre est noir et qu’il ne trempe pas dans la mafia, il a les mêmes objectifs que Bobby Starr –faire du fric– y compris s’il le faut en signant le duo  » Ren ‘n Ten  » (Rintintin, le chien de la série télé), un Black et un Blanc qui ne quittent jamais leurs fourrures de dalmatiens noires à tâches blanches pour l’un, blanche à tâches noires pour l’autre, et que Tre trouve parfaitement ridicules. Il décide lorsque son patron l’oblige à les signer de quitter Millenium Records et de monter, en grande partie grâce à un généreux chèque de Sidney, sa propre boîte. Son premier succès ne manquera pas de révolutionner la production grâce à Mos Def, chauffeur de taxi le jour, rappeur politique la nuit, qui fort méfiant des producteurs commerciaux n’avait pas voulu travailler avec Tre quand il était à Millenium Records (par ailleurs l’enthousiasme du patron de Tre pour les dalmatiens n’avait d’égal que son indifférence pour ce petit rappeur bourré de talent). Seul défaut du film, qui est aussi indéniablement une des raisons de son succès commercial, c’est une comédie romantique à l’eau de rose dont on voit les très grosses ficelles dès les premières images, sans parler de cette fascination américaine pour les signes extérieurs de richesse que les deux protagonistes et leurs entourages collectionnent comme s’ils devaient à tout prix remplir toutes les conditions pour avoir droit à leur carte de membre de la fameuse bourgeoisie noire si longtemps absente des écrans et qu’on finit par voir plus souvent au cinéma que dans la vraie vie. Cependant le film constitue un hommage bien mérité au hip-hop qui connaît dans sa maturité les dilemmes propres à la commercialisation de tout art. On peut néanmoins regretter que le film ne mentionne jamais le coeur du problème, soit la contradiction profonde, dont Tre et Sidney semblent complètement inconscients, de l’exploitation économique à outrance de cette musique qui a commencé dans la rue et qui y vit encore, le plus souvent loin des préoccupations des studios. Le personnage de Mos’Def est supposé remplir cette fonction, mais franchement c’est un peu faiblard étant donné qu’il est très secondaire et a plus un rôle de clown pensif que de porte-parole politique.
Barber Shop est le seul de ces quatre films qui choisit pour emplacement le coeur d’un quartier noir défavorisé dans la tradition de la série des Friday dont Ice Cube est le protagoniste, reprenant également la technique dramatique de l’unité de lieu, de temps et d’action de ces premiers films. Barbershop se déroule sur une journée. Calvin décide le matin, sans l’accord de sa compagne, de vendre son salon de coiffure à Lester, un businessman local légèrement véreux et unique intéressé, qui se spécialise dans tout ce qui rapporte, surtout si c’est tombé d’un camion. Calvin change d’avis en cours de journée lorsqu’il découvre que Lester ne compte pas du tout maintenir l’affaire (et garder les employés) mais n’en conserver que le nom pour en faire un night club dont la réputation ne manquera pas d’être à l’image du quartier qui l’entoure. Outre cette intrigue principale, le film est surtout un véhicule pour le comédien Cedric qui de toute évidence ne coupe pas un tif de la journée et se contente d’amuser la galerie, pour le plus grand bonheur de tous les clients et employés. Chaque personnage apporte une touche d’humour. Terri (Eve) a plus d’un prétendant, dont un grand timide, poète à ses heures, qui n’a d’yeux que pour elle et se ridiculise à répétition jusqu’à se découvrir des qualités de boxeur-justicier qui laissent tout le monde pantois. Jimmy, dont le casier judiciaire n’est plus tout propre, se fait injustement arrêter alors que son cousin lui a emprunté sa voiture pour voler un distributeur de billet qu’il n’arrivera jamais à ouvrir et qui sera l’occasion de maints gags plus ou moins réussis. Le film a été énormément critiqué par l’intelligentsia pour avoir inclu des remarques peu respectueuses (et assez marrantes, il faut bien l’avouer) de la contribution politique de Martin Luther King et de Rosa Parks. Franchement, on peut se demander si le coup de ciseaux méritait de faire couler autant d’encre étant donné que les ambitions politiques du film sont à l’image de ces dérisions. Calvin se rend compte qu’il ne peut tout simplement abandonner le salon de son père à un requin sans scrupules alors que c’est un des poumons du quartier dans lequel il a grandi et qui est par ailleurs en manque criant de tout investissement économique. Cette déchirante prise de conscience de Calvin, qui pouvait fonctionner sur le papier, est tout sauf convaincante. Le reste du film peine à soutenir l’action principale, alors autant ne pas trop prendre au sérieux ce film à sketches dont le public a bien compris l’intention principale : le faire bien rigoler.
Enfin, For Real est sans aucun doute le plus réussi de ces quatre films. Tim Reid démontre après plusieurs films fort sérieux (Once Upon a Time… When We Were Colored, Asunder) qu’il peut également faire preuve d’humour. Le film repose sur le principe du conflit des générations. Mac est un producteur qui collectionne les disques d’or tout en avouant qu’il ne comprend rien à l’attrait du rap et de ses promoteurs, des petits branleurs qui n’ont aucun respect pour leurs aînés, c’est à dire pour lui, sans parler bien sûr des femmes et bien souvent d’eux-mêmes. Jusqu’au jour où il se retrouve responsable des actes de la nièce de sa femme de ménage qui s’il refuse de la prendre en charge se retrouvera en prison. Elle a trente ans de moins que lui et ne le ménage pas, ni de ses caprices de grandes adolescente rebelle, ni de ses charmes. En effet, personne ne lui a demandé son avis, et bien qu’elle finisse par apprécier la gigantesque maison richement meublée de son réticent bienfaiteur, CeCe (prononcé Sissi, comme l’impératrice) commence par jouer les pestes et s’enfuir dès qu’elle en a l’occasion vers ses amis moins fortunés mais plus divertissants. Le tout est fort bien mené grâce à une capacité de rire de soi-même et à se moquer des autres sans tomber dans les clichés habituels, une technique qui se révèle véritablement rafraîchissante. Le film n’est pas encore sorti en salle, on verra bien si cette petite production remporte le même succès populaire que le très médiatisé Barbershop. A vrai dire, il y a peu de chance étant donné la tendance commerciale actuelle, mais que ça ne vous empêche pas d’en surveiller la sortie près de chez vous, si sortie il y a.
Encore un point commun à tous ces films : qu’il s’agisse de Brown Sugar ou de Barber Shop, et on peut sans risque pronostiquer un destin similaire à For Real, le succès commercial de ces films est entièrement dû à la communauté noire. Ils n’attirent absolument pas le public blanc qui n’est en général même pas au courant de leurs succès populaire. Et pourtant, excepté peut-être pour Barbershop qui relève indéniablement d’un humour ethnique noir peu apprécié (ou compris) du reste de la population, Brown Sugar et surtout For Real n’ont aucune raison, à part celle qu’on connaît, de ne pas intéresser le public américain et international si friand des comédies à l’eau de rose dont on ressort optimiste, diverti et heureux.

Barbershop (2002). Réalisé par Tim Story. Avec Ice Cube (Calvin), Eve (Terri Jones), Sean Patrick Thomas (Jimmy James), Cedric the Entertainer (Eddie). Directeur de la photographie: Tom Priestley, Jr. Une production Cube Visions pour MGM.

Brown Sugar (2002). Réalisé par Rick Famuyima. Avec Taye Diggs (Tre), Sanaa Lathan (Sidney), Mos Def (Chris), Queen Latifah (Francine). Directeur de la photographie: Enrique Chediak. Une production Evergreen / Heller Highwater / Magic Johnson Ent.
For Real (2002). Réalisé par Tim Reid. Avec Tim Reid (Mac), Tamara Currie (CeCe Miller), Kweli Leapart (Hardy), Eugene Long (Blaze) Susan Fales-Hill (Glynis). Directeur de la photographie: Jon Parks. Une production New Millenium Studios.
Snipes (2001). Réalisé par Rich Murray. Avec Sam Jones III (Erik), Nelly (Prolifik/Clarence), Zoe Saldana (Cherryl), Dean Winters (Bobby Starr), Schooly D. Directeur de la photographie: Alexander Buono. Une production Ruff Nation Films.///Article N° : 2752

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