« Il ne faut pas nous cantonner dans un registre »

Entretien d'Olivier Barlet avec Pierre Yameogo à propos de Delwende

Cannes, mai 2005
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Wend signifie Dieu en mooré. Et Delwende ?
Cela se traduit mot à mot par  » je me confie à Dieu  » ou  » je m’adosse à Dieu « , ce qui est presque pareil. J’ai ajouté comme sous-titre  » Lève-toi et marche « , une expression à la fois provocatrice et artistique.
Un des centres situés à Ouaga porte ce nom.
Oui, mais il y a d’autres centres aussi : Pasnanga, Temboken, Sabou… Cela semble se développer puisqu’on agrandit les centres et qu’on ne fait pas une loi pour protéger les femmes accusées de sorcellerie. Je ne comprends pas pourquoi : on dirait qu’il y a une complicité. Comment peut-on accuser quelqu’un de  » manger l’âme  » ? On lapide certaines femmes, on tue des vieilles comme des voleurs. Je ne suis pas chrétien mais il me semble qu’ils disent que l’âme appartient à Dieu. Il est aberrant qu’en 2005 on doive encore construire dans le centre de Ouagadougou des camps de concentration pour accueillir ces femmes !
Les femmes accueillies dans ces centres sont uniquement là pour des raisons de sorcellerie ?
Oui, elles sont exclusivement là pour ça. Sinon, si quelqu’un est accusé d’autre chose, il reste en famille.
Cette coutume du siongho est-elle largement pratiquée ?
Oui, il y a beaucoup de pratiques mais le siongho est la plus réputée. Pour le vieux qui joue le marabout dans le film, c’est son gagne-pain en réalité. Il gagne sa vie ainsi : on lui offre des cadeaux. Il n’était pas aisé de le convaincre de venir jouer dans le film. Lorsque nous sommes arrivés au centre. Six femmes avaient disparu qui ne sont revenues que quelques semaines après. C’est lui qui les avait envoyées dans ce camp.
Le film opère un retour aux sources : on y retrouve des structures classiques du cinéma africain et que tu avais utilisées dans Dunia. Quelle était ta volonté ?
Je ne crois pas : c’est un film qui bouge. Dunia était assez statique alors que dans Delwende le village est en mouvement. Parce que c’est un village, on veut tout de suite faire une connotation d’ensemble. Je ne voyais pas comment tourner ce sujet sans le situer dans un village. Mais c’est avec des caméras qui bougent. Il ne faut pas nous cantonner dans un registre : il faut regarder le sujet. Certains sont très injustes envers nous.
Le rythme du film est effectivement assez fort, avec un montage serré. Un passage s’installe cependant dans la durée : quelle était ton intention ?
J’ai voulu simplement traiter de la vie africaine. Si des gens ne bougent pas, on ne peut pas morceler l’image : il faut une durée. Cela pourrait plaire aux Occidentaux mais cela n’a pas de sens pour nous, et c’est ce que nous voulons. C’est un rythme propre au cinéma africain et qui est à accepter en tant que tel. Le cinéma asiatique ose des lenteurs extrêmes et on parle d’esthétique. Pour nous, on dira que c’est mal fait !
Ma question portait davantage sur l’esthétique : la signification du changement de rythme dans le film.
Lorsqu’il s’agit de filmer des gens dans leur réalité, à quoi bon parler d’esthétique. Je ne comprends même pas cette question. On parlera d’esthétique quand on construit un décor, qu’on fait un storyboard, qu’on pense une image. Mais la représentation de la vie réelle est une démarche différente.
Le personnage du fou est celui qui sait mais ne transmet pas.
Il veut transmettre mais personne ne veut l’écouter.
N’est-ce pas l’œil du cinéaste sur la réalité traitée ?
Oui, mais c’est aussi la question de la non-reconnaissance des gens qui est insupportable. Il trouve des vieilles piles pour s’informer mais il reste dans son coin car il est chassé par tous. Celui qui détient le savoir et est rejeté ne pourra le transmettre. Il reste un témoin sans voix. Je suis moi aussi l’objet de ce refus de reconnaissance. Toi aussi sans doute. Nous le sommes tous par moments. On se demande alors s’il faut continuer le combat. Un cinéaste doit gagner sa vie : si ce n’est plus le cas, ce n’est plus la peine. Un film ne peut pas plaire à tout le monde mais si on n’en vit pas, c’est qu’on n’est pas reconnu, qu’on est mauvais ! Il me suffit de plaire à des gens bien.
L’équipe technique du film est essentiellement africaine.
Oui, j’ai toujours formé les techniciens. Je fais du cinéma numérique. Je ne connais pas un Africain qui puisse le faire assez bien pour que le film puisse être présenté à Cannes mais j’amène quelqu’un qui pourra le former. J’avais tout ce qui compte de compétent au Burkina et plus largement.
Le numérique est-il aussi une contrainte ?
Il y a des problèmes mais c’est une manière d’aller vite. Le tournage est plus léger. Le numérique coûte moins cher mais la différence n’est pas si grande : le labo coûte le même prix, seul le montage est plus économique car on n’a pas besoin de développer. C’est donc un poste de 5 millions de CFA qui saute, soit 10 % d’un budget de 35 mm. Cela fait la deuxième fois que je l’utilise mais on n’a pas les images que l’on souhaite car ce n’est pas encore au point.
Tu utilises la musique de Wasis Diop et de la musique classique occidentale.
J’avais dit à Wasis que j’aimerais rester ouvert pour ce film à différentes sortes de musique. Il a composé différents styles, me les a proposés et nous avons choisi. J’ai pris ce qui me permettait de rêver. J’écoute de la musique quand je suis seul et ce n’est pas du dombolo qui me pète les tympans ! Au début, on me disait que je ne devrais pas mettre du classique mais pourquoi pas ? C’est une belle rencontre avec ce village traditionnel. Je ne l’ai pas abusivement utilisée.
Qui a chorégraphié les ballets ?
C’est Blandine Yaméogo, l’actrice principale qui est avant tout une actrice professionnelle. Elle a improvisé cela un après-midi.

///Article N° : 3852

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