entretien de P. M. Asse Eloundou avec Matrial Pousaz

Suisse : Un poète helvétique invité au Café des poètes de Yaoundé

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« Il ne faut pas croire que tous les écrivains qu’on présente comme des auteurs français le sont effectivement. »
Il s’appelle Martial Pousaz. Barbe hirsute, le poème chargé d’argots et du souvenir de son institutrice dont il tomba amoureux à 14 ans et qui alluma en lui le poète, c’est à 40 ans qu’il a obtenu son diplôme de jardinier paysagiste. Lauréat en 1999 du concours de poésie de la Société des Poètes et artistes de France décerné à Genève et auteur des Tendresses et révoltes du poète-jardinier, le poète qui se revendique de la bohème est un habitué du Cameroun. Nous l’avons rencontré récemment à l’issue du café de la poésie rondine que sert depuis plus de cinq ans la Ronde des Poètes à Yaoundé.

M. Matrial Pousaz, dites-nous qui vous êtes, entièrement.
Je viens de Suisse et je suis jardinier-poète. Je suis jardinier de profession, mais dans la vie, j’ai toujours voulu écrire dès ma petite enfance. Maintenant j’ai des problèmes de santé, mal de dos, etc. Je me consacre plus maintenant à la poésie qu’au jardinage.
Vous êtes un poète jardinier originaire de la Suisse romande. Est-ce qu’on peut avoir un aperçu global de la littérature de votre pays ?
Il y a énormément d’écrivains dans mon pays. Mais ceux qui vivent de l’écriture sont vraiment peu nombreux. Ceux qui arrivent à en vivre sont souvent obligés d’aller vivre à l’étranger. Il y a par exemple Jacques Chessex qui a eu le prix Goncourt il y a quelques années. Il y a aussi Charles-Ferdinand Ramuz qui a failli l’avoir dans les années 50. On met tout ça sur le compte de la France. Mais il ne faut pas oublier que tous ceux que vous croyez tous être des français ne le sont pas effectivement. J’ai eu l’occasion d’aller à Douala où le Centre Culturel s’appelle Blaise Cendrars. Blaise Cendrars était d’une petite ville de Suisse qui, à l’âge de 14 ans, a vendu les cuillères en argent de ses parents pour pouvoir payer un voyage et il a fait le transsibérien et de nombreux voyages. C’était un auteur très connu. La Suisse accueille aussi beaucoup d’auteurs qui s’inspirent de notre terre pour écrire. Je pense à Ernest Hemingway qui a vécu près de Montreuil, non loin de ma région natale.
Vous parlez de la France. On a l’impression que votre pays est littéralement écrasé par la France, sur le plan littéraire tout au moins.
Dans tous les pays francophones, les auteurs ont pour point focal Paris où ils se rendent s’ils veulent être connus. Mais la Suisse, il ne faut pas l’oublier, c’est un peu plus de 6 millions d’habitants. La grande partie c’est la Suisse allemande (65 % de la pop) et la partie romande c’est 1 million cinq cent mille (18 %). Les grandes éditions sont plutôt à Paris. Et il n’y en a pas autant qu’en France. En ce qui me concerne, il y a plus de trente ans que j’écris des poèmes et que je récite dans les cafés, que je galère. La Suisse ne m’a jamais vraiment reconnu comme un écrivain. C’est en allant à Paris que j’ai eu un prix de la poésie française. Donc, il faut aussi sortir de ses frontières. C’est la même chose pour le Cameroun. Vous êtes aussi de langue française. Pour être publié et avoir de la notoriété, c’est la France qu’il faut regarder.
Vous vous définissez comme un poète-jardinier. Cette mention figure d’ailleurs sur le titre de votre recueil de poèmes. Pouvez-vous nous expliquer le concept de poète-jardinier ? Pouvez-vous nous présenter aussi votre poésie qui semble s’enraciner dans votre vie propre pour s’ouvrir à votre terre la Suisse et finalement au monde entier ?
Ma poésie, je l’ai commencée très jeune parce qu’à l’école j’avais pas mal de difficultés et qu’un jour j’ai rencontré une nouvelle institutrice qui me plaisait beaucoup. J’avais essayé de la séduire quelques mois plus tôt. Je m’étais fait passer pour mon frère et j’avais inventé toute une histoire. L’institutrice m’avait dit un jour je vois que tu as pas mal de difficultés mais que tu as beaucoup de talent et je vais organiser un concours de poésie. Tu m’écris quelques poèmes, je vais essayer de voir ce que je vais en faire. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire mes premiers poèmes. Et comme j’étais aussi de milieu assez modeste, fils de paysan et que très jeune j’aimais l’aventure et le voyage, j’ai su profiter de la solitude des voyages pour écrire. J’ai passé des moments très douloureux, plusieurs accidents, des ennuis de santé qui m’envoyaient très souvent à l’hôpital. Si on arrive parfois à écrire ou à s’exprimer, c’est parce qu’on remonte très facilement sa propre histoire. J’ai eu beaucoup de coups dans ma vie. C’est justement ce qui nous forme car, un malheur, une fois qu’on en est sorti peut enrichir l’homme. J’avais écrit un poème là-dessus qui dit : « Il faut avoir souffert/ Il faut avoir écu l’enfer / Avoir vu le fond du trou/ Pour un jour beaucoup mieux en apprécier les étoiles. »
C’est pour ça que vous n’aimez pas les technocrates ?
Il en faut, des technocrates. Il faut de tout pour faire un monde. Mais je voudrais dire que le pouvoir des mots est aussi très important. L’argent finalement ce n’est que du vent, puisqu’il doit circuler mais en accumuler pour en faire quoi ? Si c’est pour faire un centre culturel ou soutenir des associations, d’accord …Mais si c’est le pognon pour le pognon, pour accumuler des milliards dont on ne sait plus quoi faire et qu’autour de soi il y a des gens qui crèvent, je trouve que c’est bien malheureux.
Il y a ce côté populaire et en même temps bohème qui rapproche votre écriture de celle d’un auteur français qui est très connu au Cameroun parce qu’inscrit dans les programmes scolaires à savoir Jacques Prévert. Vous le connaissez ?
Naturellement j’ai lu Jacques Prévert. Mais mon époque c’était la radio et j’ai surtout été inspiré par Georges Brassens qui m’a attiré par son côté plutôt mauvaise réputation.(Il chante) Au village sans prétention/ J’ai mauvaise réputation/ Que je me démène ou que je reste coi/ Je passe pour un je ne sais quoi/ Je ne fais pourtant de tort à personne/…A travers lui j’ai connu beaucoup d’autres poètes : François Villon, Victor Hugo, Paul Valéry…Je pense aussi à Arthur Rimbaud, à Paul Verlaine. Faut pas oublier qu’Arthur Rimbaud a publié son premier ouvrage en 16 ou 18 exemplaires qu’il n’a même pas pu vendre qu’à ses amis et offrir à sa cousine et à sa famille. J’ai eu l’occasion d’aller sur ses traces. Il a vécu en Abyssinie devenue aujourd’hui l’Erythrée et il a fini comme trafiquant d’armes. Il n’a jamais écrit de poèmes autres que ceux quand il était très jeune. Et maintenant je fais partie de l’Association des Amis d’Arthur Rimbaud autour de sa nièce qui vit encore à Paris. J’aime aussi Jacques Brel naturellement.

///Article N° : 4008

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