L’Afrique des arts se présente à Venise

Compte à rebours avant la Check List

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Une première collection privée africaine d’art contemporain, un Pavillon Africain à la prochaine biennale de Venise, quand l’Afrique des arts n’est plus au détour d’elle-même…

Diantre, l’Afrique prend ses quartiers à Venise !
Serait-ce une gageure de croire qu’il est possible de contenter d’aucuns sur le statut de l’art contemporain africain ? Réunir messieurs les critiques et autres curateurs, invités artistes, principales galeries du main stream, conservateurs et autres philanthropes amoureux de l’Afrique pour la parodie d’une rhétorique exsangue sur le compte d’un certain artafricanisme (1)… Jusqu’où l’artiste africain doit-il aller pour exposer sa contemporanéité ? Doit-il sacrifier son « je » pour entrer dans le « jeu » de l’art ? L’authenticité est-elle un essentialisme africain ? L’impérialisme institutionnel est-il le seul dictat qui prévaut dans les relations d’influences ou d’opportunités ?
Balivernes ! Dirons-nous en toute modestie… À partir du 10 juin 2007, les questions se poseront bel et bien autrement. Simon Njami, commissaire de la houleuse Africa Remix, directeur de la biennale de Bamako, critique d’art et cofondateur de la célèbre Revue Noire donnera prochainement des nouvelles du front en commençant par une nette mise au point. Le 10 juin s’ouvrira la 52e biennale de Venise. La particularité de cette édition est sans conteste la participation d’un invité qui, somme toute, pèsera lourd dans la balance… L’Afrique a désormais un pavillon à elle (2) ! Le lieu canonique de la consécration de l’art contemporain a ouvert ses portes au continent entier (3) pour trois mois de festivités. Aux côtés du Pavillon Turc et de l’exposition internationale de Robert Storr, directeur général de cette biennale, les œuvres de trente artistes seront exposées sous un pavillon, ô combien arc-en-ciel.
Les débuts d’une nouvelle aventure
Janvier 2007. L’aventure commence par une annonce des plus curieuses. « Pavillon africain à la recherche d’un commissaire d’exposition expérimenté et d’un projet novateur » pouvait-on lire en filigrane du texte officiel lancé par les organisateurs de la Biennale de Venise. Alors que le Ministère français de la Culture, accompagné dans sa démarche par les Affaires Etrangères et le groupe mondial LVMH, s’est chargé de soutenir la participation de portes drapeaux comme Sophie Calle et Daniel Buren, « la question africaine » se posait autrement. Comment nommer quelqu’un à la direction d’un tel édifice ? Sur quelle base ? Pour quel type de projet ? Réponse : un appel à projet. Certainement nombre dossiers ont été envoyés. Peut-être qu’André Magnin de la Contemporary African Collection Art (CAAC), le jeune commissaire Abdellah Karroum et directeur de l’Appartement 22 à Rabat, Jean-Hubert Martin commissaire des Magiciens de la Terre et de Partage d’exotismes et d’autres ont-il été triés sur le volet par l’administration centrale de l’évènement ? Supposition du reste car rien de tout cela n’a été publié sur quelconque ban officiel. Passons. Simon Njami, en lice, n’était pas en reste de projet d’exposition. En atteste par ailleurs la première édition de la Triennale de Luanda en Angola commencée en Mars 2007.
De l’art dans les rues de Luanda
Cet évènement fantôme est volontairement passé inaperçu dans les médias internationaux car « l’Europe n’est pas le lieu où les artistes doivent forcément être pour exister. Ce n’est pas parce qu’on ne parle de la création africaine ici qu’elle ne se produit pas ailleurs » précise Simon Njami. Durant plus de trois mois, l’effervescence de la création contemporaine s’est chaleureusement fait ressentir dans les rues de Luanda. Performances, vidéos, installations, peintures, photographies ont pris place dans des échoppes, des lieux culturels et dans des lieux de vie. « La Triennale est un projet évolutif qui existe par ce qu’il se confronte à l’espace public et sollicite la participation des Angolais. Le projet de Fernando Alvim est que de jeunes artistes de la scène angolaise puissent se familiariser avec ceux qui demain constitueront leur futur public, client et partenaire financier. C’est pourquoi, dès qu’une œuvre est décrochée, une autre prend sa place. Cet évènement est un gage d’évolution et donc d’avenir » confie Ruth Sacks, artiste Sud Africaine exposée à Luanda. Dès lors, la Triennale a pourtant de quoi défrayer les colonnes de nombreuses parutions. Dirigée par l’artiste Fernando Alvim et le curateur d’Africa Remix, la Triennale de Luanda est le résultat d’une collaboration féconde entre l’entrepreneur angolais d’origine suedo-congolaise Sindika Dokolo. Certainement, aujourd’hui, la collection du jeune milliardaire représente la plus importante du continent africain. Avec près de 1000 œuvres pour un peu moins de 150 artistes originaires d’Afrique et de la diaspora comme Bernie Searle, William Kentridge, Ndilo Mutima, Chéri Samba, Paulo Kapela, Loulou Chérinet (…) cette entreprise promet d’oxygéner la scène artistique africaine.
La première collection privée africaine d’art contemporain
Homme d’affaires et chef d’entreprise, Sindika Dokolo est le fils d’Augustin Dokolo Sanu, le premier congolais à avoir lancé une banque mais surtout grand collectionneur d’œuvres traditionnelles africaines. Afin de donner un visage nouveau à l’art contemporain de son continent, Dokolo fils a obtenu de Simon Njami et de Fernando Alvim qu’ils s’occupent de la direction artistique de sa collection. « La seule chose qui compte est que cette initiative soit portée par l’ambition d’un homme africain et soutenu par un artiste africain. Leur réunion se cristallise autour d’un projet salvateur : créer la première collection africaine en Afrique ! » soutient Simon Njami. Habituellement présentées sur la scène internationale, les œuvres des artistes africains ne sont, pour la plupart, jamais exposées dans les pays d’Afrique. Finalement, aux querelles ontologiques relatives à la légitimité conceptuelle d’un « art contemporain africain », le commissaire camerounais rétorque que « la contemporanéité africaine se définit par une identité et des territoires ». Avant d’ajouter « nous ne montons pas une collection d’œuvres d’art africain. Ce qui se crée actuellement à Luanda est une collection africaine d’œuvre d’art contemporain ». Le temps est donc venu que l’Afrique artistique règle ses comptes avec un monde de l’art super globalisé, super subventionné et institutionnalisé au sein de laquelle elle n’a pas toujours eu faveur honorable. Et c’est par cette vision de l’art que la collection Dokolo s’introduit à la Biennale Venise…
Redistribuer les cartes pour éviter les maldonnes
« Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu’on le voie ; il était regard pur, la lumière de ses yeux tirait toute chose de l’ombre natale, la blancheur de sa peau, c’était un regard encore, de la lumière condensée. L’homme blanc, blanc parce qu’il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche, dévoilait l’essence secrète et blanche des êtres. Qu’est-ce donc que vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu’elles allaient entonner vos louanges ? Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu’à terre par la force, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l’adoration dans leurs yeux ? Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus. » (4)
Ainsi commence le texte de présentation de l’exposition Check List présentée au sein du Pavillon Africain par Njami et Alvim. Le saisissement d’être vu pousse aujourd’hui l’Afrique à se doter de ses propres forces de travail et de ses propres forces de production. Ce saisissement est le lieu d’une mémoire inquiétée par la place qu’elle pourrait trouver au sein du monde. En choisissant de montrer ce qu’elle est, sans artifice mais avec distance, l’Afrique pourra devenir une autre. Et c’est pourquoi, explique le commissaire de cette exposition, « nous avons pensé cet espace sans aucune autre détermination identitaire ». Avant d’ajouter « le Pavillon Africain a invité des artistes et des visions de l’Afrique. Alfredo Jaar, Jean Michel Basquiat, Andy Warhol, Mario Benjamin, Yinka Shonibare, Tracy Rose, Ingrid Mwangi, Mounir Fatmi, Ruth Sacks seront exposés. Certaines œuvres sont aussi produites pour l’occasion. L’œuvre de Bili Bidjocka notamment questionne la thématique de la check list« . Le discours prométhéen du pavillon africain au sein de la Biennale de Venise est bien d’annihiler l’idée d’une esthétique africaine. Alpha Ouma Konaré, président de la Commission de l’Union Africaine, Simon Njami et Fernando Alvim ont conçu ce projet comme un acte de foi, une table rase, un espace de discussion et de redistribution des cartes. Entièrement financé par des banques angolaises (5), ce pavillon démontre, contre toute attente, la possible autonomie de l’Afrique, au sein du bras de fer musclé de l’art contemporain qui, se jouera dans un lieu on ne peut plus sacro-saint.
Depuis trois semaines, le comité scientifique du Pavillon Africain publie une newsletter dans un quotidien vénitien afin de donner son propre rythme à cet évènement dans la manifestation de la Biennale elle-même. Ce cheval de Troie n’est que le premier acte d’une longue épopée. Prochain rendez-vous le 10 juin à Venise. Mais déjà, sommes-nous en droit d’espérer que l’initiative de Sindika Dokolo suscitera la jalousie d’autres entrepreneurs africains afin de créer l’émulation dont aura besoin le futur marché africain de l’art contemporain.

1. « L’artafricanisme » est une dynamique inventée par les institutions qui ne correspond pas à une réalité sociologique des Africains. C’est un art qui est pensé en Europe par les Européens pour les Africains. Exposé lors de manifestations autour de la culture africaine, il s’adresse à un public européen. » Interview d’Hassan Musa, « Images sacrées, images politiques », 28 novembre 2005, version électronique d’Africultures.
2 : Hormis certains artistes sud-africains et dont Jane Alexander en 1995, rares ont été les artistes d’autres pays d’Afrique à avoir participé aux précédentes éditions de la Biennale de Venise. On peut cependant citer : Moustapha Dimé (1993), Ousmane Sow (1995), Abdoulaye Konaté (1997), Ousmane Ndiaye Dago (2001), Pascale Martine Tayou (2005).
3. En 2001, dans le cadre de la 49ème édition de la Biennale de Venise se tenait l’exposition Authentic/ Ex-centric. Elle regroupait les travaux de sept artistes africains et de la diaspora africaine, travaux d’art conceptuel (peinture, sculpture, photographie, vidéo, installations multimédia) qui interrogent la nature de la production artistique africaine contemporaine et les problématiques de la représentation, de la mémoire, de la diaspora et de l’expatriation notamment.
4. Jean Paul Sartre, Orphée Noir, in Anthologie de la Nouvelle poésie nègre et malgache, Paris, PUF, 1948
5. La Banque Nationale d’Angola, UNITEL, la Banque privée d’Atlantique, Banque internationale de Négoce, ENI, INALCA, SONANGOL etc.
Pour en savoir plus :
//africultures.com/fichiers/DP_Pavillon_Africain_Venise.pdf///Article N° : 5949

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Les images de l'article
View of Sindika Dokolo exhibition, Trienal de Luanda, Luanda, Angola, 2006 © Courtesy of the artist
View of Lunda Tchoke exhibition, Trienal de Luanda, Luanda, Angola, 2006 © Courtesy of the artist
Kiluanji Kia Henda, Ngola Bar, 2006. Triptych, c prints on aluminium, 200 x 140 cm © Courtesy Sindika Dokolo African collection of contemporary art
Kiluanji Kia Henda, Ngola Bar, 2006. Triptych, c prints on aluminium, 200 x 140 cm © Courtesy Sindika Dokolo African collection of contemporary art
Yonamine, Catetoca, 2006. Video artwork, triple projection, #1_4'14'',#2_4'15'',#3_4'24'' © Courtesy Sindika Dokolo African collection of contemporary art
Alfredo Jaar, Muxima, 2005. Video digital artwork, 36' © Courtesy of the artist
Kiluanji Kia Henda, Ngola Bar, 2006. Triptych, c prints on aluminium, 200 x 140 cm © Courtesy Sindika Dokolo African collection of contemporary art





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