Carnets de voyage (Congo-Belgique 1945-1959)

De Antoine-Roger Bolamba

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La collection « L’Afrique au cœur des lettres » dirigée par Jean-Pierre Orban réédite des textes d’auteurs africains oubliés qui se révèlent aujourd’hui indispensables à la compréhension de la situation littéraire contemporaine.
Dans cette perspective, ces articles publiés dans le mensuel La Voix du Congolais dans les années 1950 en RDC (Congo belge alors) constituent un témoignage d’une partie de la production écrite par les Africains d’éducation occidentale appelés les « évolués » dont fait partie Antoine-Roger Bolamba (1913-2002). Rédacteur en chef de cette célèbre publication de 1945 à 1959, il est reçu lors de tournées dans les provinces, invité avec d’autres en Belgique en 1953, il suit le roi Baudouin en voyage officiel dans la région en 1955.
Christophe Cassiau-Haurie a rassemblé ici ses reportages rédigés lors de tournées en les organisant selon les provinces traversées, parfois au cours de différents voyages. Il faut lire ces textes en se rappelant les distances énormes de ce pays-continent au cœur de l’Afrique, les réglementations coloniales limitant les déplacements des autochtones et l’encadrement d’une presse strictement soumise au pouvoir afin de ne pas commettre de dangereux anachronismes. Bolamba est dans une situation ambiguë puisqu’il propose des descriptions aux allures de reportage sur des situations variées tout en étant, de par ses fonctions et son statut d’évolué, redevable au gouvernement belge et aux missions catholiques.
On comprend (à défaut d’admettre) que les descriptions d’écoles missionnaires soient toujours teintées d’admiration, que l’œuvre civilisatrice des « bienfaiteurs » belges (88) soit louée, que les provinces traversées par Baudouin et marquées par la domination soient « le paradis terrestre » (Rwindi, 240) ou le « berceau de la gaîté » (Kisangani, 241). Pourtant, il tente d’être rigoureux et méthodique en présentant scrupuleusement les villes et les provinces au moyen de phrases courtes juxtaposées. Il détaille les productions agricoles, l’architecture, le plan de la ville, les écoles, les lieux de santé et de culture et encore le prix des loyers, le menu des cantines et le plan des maisons, le contenu des bibliothèques. Bolamba se soucie particulièrement de la place qu’occupent les évolués (« tous les Congolais qui ont reçu leur instruction et leur éducation dans les écoles officielles et de missions et qui, de par leur formation, ont une situation qui leur permet de gagner aisément leur vie », 33), du rôle que jouent ceux qu’il espère être les propagateurs d’une civilisation porteurs de mieux-être dans une période (1958) où, dit-il laconiquement, « le Congo bouge » (113). Alors qu’il ne donne jamais la parole à des acteurs, il présente ses affirmations comme le résultat de ses investigations (« tous les commis de l’administration et ceux des entreprises commerciales que nous avons questionnés »,113) ou de ses propres constatations (« nous avons visité », « nous sommes allés voir », 32).
Ces catalogues ne s’en tiennent pas à la description car Bolamba rédige ses articles comme des comptes rendus d’inspection : dans tel hôpital « la propreté y fait défaut » (32), tel marché est « démodé » (148), dans telle école « la diction est irréprochable » (47) et se permet des suggestions : l’un « devrait prendre un règlement » (142) ou des interpellations : « n’est-il pas vrai que le paiement de l’impôt est parfois pénible pour l’indigène paysan ? » (150). Il ose parler de l’administration dont les fonctionnaires ici « abusent du temps et de la patience des indigènes qui attendent de longues heures » (48) alors qu’ailleurs elle « se dépense sans compter pour donner aux Noirs confort et agrément » (76). Enfin, dans la dernière partie, il s’emploie à démontrer la qualité et l’ancienneté de l’accueil que la Belgique réserve aux Congolais.
Alors, comment lire Bolamba ? Certes, il appartient à la première génération d’écrivains grâce à son recueil de poèmes Esanzo (1955) mais même s’il cite Verhaeren (69), Bossuet (108) et Baudelaire (257), son écriture aux qualificatifs hyperboliques reste ici conventionnelle voire scolaire. Il est bien difficile d’imaginer à travers ces lignes qu’il a rencontré le fougueux Damas en 1954 et assisté au congrès des écrivains noirs à Paris en 1956. Loin des hardiesses littéraires de ceux que l’on rassemble autour de la Négritude, Bolamba choisit des stratégies plus détournées pour suggérer les failles (sociales essentiellement) d’un système dont il doit par ailleurs montrer les résultats enthousiasmants.
Ces articles issus de la presse officielle sont donc surtout d’utiles témoignages sur la position charnière dans laquelle étaient les évolués, prisonniers des structures, du langage, de leur statut social. Les voyages de l’Atlantique au Rwanda qu’ils retracent seront naturellement lus au travers de la situation actuelle de la région ; ils offriront ainsi d’utiles points de comparaison et permettront de relativiser bien des analyses du passé comme du présent.

Carnets de voyage (Congo-Belgique 1945-1959), Antoine-Roger Bolamba,textes présentés par Christophe Cassiau-Haurie avec la collaboration de Jacques Hellemans, Paris, L’Harmattan, 280 pages, 2008.///Article N° : 8391

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