Niyo

De Mamadou Barry

Coup de cœur
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Q’un tel musicien sorte son premier disque personnel à 62 ans, cela en dit hélas assez long sur le triste sort des instrumentistes en Afrique : imaginez qu’il soit arrivé la même chose à Manu Dibango ou Fela !!!
Mamadou Barry n’a qu’un défaut : il n’est pas chanteur, condition devenue nécessaire pour être une star. Cela ne l’a pas empêché de jouer un rôle capital dans l’histoire de la musique moderne guinéenne.
Son père, accordéoniste et batteur, lui a transmis l’amour de la musique tout en le poussant vers l’École normale. Comme beaucoup d’artistes de sa génération, Barry gardera longtemps deux fers au feu : enseignant et musicien, il bénéficie du statut de « fonctionnaire détaché » que le régime du très mélomane Sékou Touré accorde à ses meilleurs artistes. Il débute brillamment comme premier djembe du Ballet National. Cette expérience majeure de percussionniste se ressentira dans toute sa musique, d’une grande rigueur rythmique. Puis, nommé instituteur dans un village proche de Conakry, il y anime le « bal poussière » du samedi soir et il a la chance de rencontrer le légendaire Honoré Coppet, flûtiste, clarinettiste et saxophoniste martiniquais recruté par Sékou Touré pour former les « souffleurs » des orchestres nationaux. Barry sera son meilleur élève. Il bénéficie ensuite des conseils de son aîné Momo Wandel Soumah (1926-2003) qui était avec Kélétigui Traoré le doyen des saxophonistes guinéens. Il suivra en outre les cours de solfège et de composition très utiles dispensés par les coopérants nord-coréens…
Il y a aujourd’hui quarante ans que Barry dirige le Kaloum Star, qui fut avec Balla & ses Balladins, Bembeya Jazz, le Horoya Band et les Tambourinis l’un des grands orchestres fondateurs – encore en activité – de la musique tradimoderne guinéenne, qui a influencé toute la scène musicale ouest-africaine. Il est aussi, entre autres, un soliste occasionnel du Bembeya et le directeur musical du plus bel orchestre féminin du continent, les Amazones.
Barry a beaucoup voyagé. Invité au Festac de Lagos (1977) il y a découvert l’afrobeat naissant qui est devenu pour lui une source d’inspiration manifeste. On peut également déceler par instants (comme dans « Sodia ») l’influence probable de Manu Dibango.
Barry est aussi allé à Cuba, où Richard Éguès, principal soliste de l’Orquesta Aragon, l’a initié à la flûte traversière – il en joue ici avec délicatesse et justesse dans « Sedy » et « Barry Swing ». Amoureux du jazz classique (de Béchet ou de Hawkins sans doute plus que de Parker ou de Coltrane), Mamadou Barry n’est pas un novateur dans le genre, et « Africa Five » ne figure certes pas parmi les versions les plus audacieuses du « Take Five » de Paul Desmond & Dave Brubeck. Néanmoins, Barry est un improvisateur séduisant et un instrumentiste irréprochable, jonglant habilement avec les saxophones (alto, soprano et ténor), donnant à chacun une « voix » bien distinctive.
« Niyo » n’est d’ailleurs pas que le premier disque personnel d’un instrumentiste sexagénaire très doué. C’est le bilan provisoire, assez exaltant, d’une aventure musicale collective qui a débuté en Guinée au lendemain des indépendances, et qui a fait de Conakry un phare pour tous les mélomanes qui s’intéressent à l’appropriation de la tradition par les musiques urbaines d’Afrique. La plupart des morceaux de cet album, comme de ceux du Kaloum Star, s’inspirent de chansons traditionnelles des diverses populations et régions de la Guinée : « Niyo » et « Tala » dérivent de mélodies chères aux Soussou, « Sodia » plutôt aux habitants de la région de Beyla, berceau du Bembeya Jazz, « Sedy » aux Malinké de la province de Kankan. La politique musicale de Sékou Touré (plus inspiré à cet égard que dans d’autres domaines) a su harmoniser sans les gommer les différences culturelles tout en les ouvrant sur l’extérieur…et le résultat est là, magnifique, un demi-siècle après l’indépendance.
Pardon pour ce rappel un peu long d’une histoire qui nous est chère…
Mamadou Barry ne fait d’ailleurs pas qu’assumer cet héritage, il le vit, il l’exprime à chaque note avec une irrésistible vitalité.
Il est donc légitime que ce premier album s’achève par l’hommage d’un griot (le chanteur-koraïste Kélontan Cissoko) à « Maître Barry ». Ce chant jubilatoire auquel il se joint avec un plaisir évident, est accompagné notamment par le flûtiste de style peul Mamadi Mansaré II – « mansare » est le nom malinké de la flûte en roseau traditionnelle ouest-africaine. On entend dans ce disque bien d’autres excellents instrumentistes, tels les jeunes Mamadou Camara et Djessou Mory Kanté (guitares), Djelikaba Camara (balafon) et Seyni Camara (kora).
Enfin, si Barry n’est pas chanteur, il a convoqué trois des meilleures chanteuses de Guinée : la swinguante griote malinké Missia Saran Diabaté, dite « Petit Piment » ; la perçante konianké Seyni Malomou ; et la jeune et prometteuse kissi Sia Tolno, qui vient de sortir un cd avec l’aide de Barry et lui apporte en retour sa voix gorgée de « soul ».
Ce premier album très festif d’un juvénile vétéran, inspiré de bout en bout, porte bien son titre : en malinké « niyo » signifie l’âme, l’esprit.

Mamadou Barry, Niyo, (Marabi / World Village / harmonia mundi)///Article N° : 8761

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