Propos recueillis par Christine Avignon
Quel regard portiez-vous sur l'art pendant votre enfance ?
Petite, l'art était pour moi un refuge et une façon de comprendre le monde. Je passais des heures à dessiner, à créer des univers imaginaires. À la maison, même si l'art n'était pas institutionnalisé, la créativité était partout : dans les tissus colorés, les chansons, les récits qu'on nous racontait, et dans les livres illustrés. Le déclic a été double. D'abord, une vraie soif de raconter des histoires autrement, en combinant texte et image. Ensuite, le besoin de représenter nos réalités avec authenticité.
Vous avez été influencée par des auteurs franco-belges des années 1970. Qu'est-ce qui vous touche particulièrement dans leur travail ?
Ce qui me touche, c'est leur manière de conjuguer la beauté formelle avec la profondeur des récits. J'aime beaucoup, entre autres, André-Paul Duchâteau et Tibet.
Vous avez également été influencée par des bédéistes congolais ?
Oui, bien sûr. Des auteurs comme Tembo Kash, Asimba Bathy, Barly Baruti ou encore Fifi Mukuna. Ils savent allier un graphisme très expressif à des histoires humaines, souvent engagées. Leur travail m'a montré qu'une bande dessinée peut être à la fois un plaisir esthétique et un acte citoyen. Cette double exigence continue de me guider aujourd'hui.
Quelles méthodes ou outils privilégiez-vous pour transmettre l'art aux enfants ?
Avec les enfants, je privilégie la liberté d'expression avant tout. Je leur propose de partir soit de leurs émotions et de leurs souvenirs personnels, soit sur une thématique que je définis. L'idée est de leur faire comprendre que leur regard sur le monde compte, qu'il n'y a pas de mauvaise manière de dessiner. L'important, c'est qu'ils se sentent légitimes, et capables de créer.
L'art est un langage universel. Il touche là où les mots parfois échouent. Il peut éveiller les consciences en douceur, sans imposer, mais en suggérant, en racontant, en faisant ressentir. Pour les plus jeunes, c'est une manière de penser autrement, de développer leur sens critique, tout en restant connectés à leurs émotions.
Vous avez participé à plusieurs festivals, comme Kin Anima Bulles ou le SIAVKIN. Que vous apportent ces événements artistiques ?
Les festivals sont des respirations précieuses. Ils me permettent de rencontrer d'autres artistes, de confronter mon travail à des regards différents, mais aussi de dialoguer avec le public. À Kin Anima Bulles, par exemple, j'ai senti combien nos récits africains en bande-dessinée étaient attendus, nécessaires. Ces événements sont aussi des espaces où l'on tisse des solidarités, où l'on rêve ensemble à de nouveaux possibles pour la création en Afrique.
En 2010, vous avez rejoint le collectif Kin Label. Comment ce collectif a-t-il influencé votre parcours ?
Rejoindre Kin Label a été un vrai tournant pour moi. A l'époque, j'avais soif de rencontres et d'apprentissage. Ce collectif m'a offert bien plus que cela. Il m'a donné un espace de partage, de critique bienveillante et de liberté créative. C'est avec eux que j'ai compris que l'art pouvait être un outil puissant de narration, mais aussi d'engagement. Kin Label a planté en moi cette graine de l'activisme qui continue de pousser aujourd'hui dans tout ce que je crée.
Vous avez été publiée dans la revue "Amazone BD", un projet dédié aux femmes bédéistes. Comment percevez-vous la place des femmes dans le monde de la BD en République Démocratique du Congo ?
Être publiée dans cette revue a été une expérience forte, presque réparatrice. En RDC, la bande dessinée reste encore un espace majoritairement masculin, mais des voix féminines émergent avec force. Je pense que notre place est en train de s'élargir, non pas parce qu'on nous l'offre, mais parce qu'on la prend, avec nos récits singuliers, nos regards sensibles et nos luttes. À travers "Amazone BD", j'ai senti que nous étions en train d'écrire une autre histoire, une histoire où les femmes ne sont pas seulement des muses ou des personnages secondaires, mais des créatrices à part entière. C'est cette énergie que je porte aussi dans mon travail aujourd'hui.
Vous avez exposé à Erlangen et Kinshasa. Quelles différences remarquez-vous dans la réception de vos œuvres à l'étranger et dans votre pays ?
Exposer en Allemagne et en RDC, c'est comme parler deux langues différentes avec le même cœur. À l'étranger, mon travail est souvent perçu par le prisme de l'exotisme ou de la curiosité culturelle. Il intrigue, il questionne. À Kinshasa, la réception est plus émotionnelle. Les gens se reconnaissent dans mes récits. L'art devient presque un miroir intime. Ces différences m'ont appris à garder ma voix authentique, peu importe le regard extérieur.
Vous développez également un projet d'élevage de porcs et de poules. Quel lien faites-vous entre cet engagement agricole et votre pratique artistique ?
Pour moi, cultiver la terre et cultiver l'imaginaire sont deux gestes très proches. L'élevage m'a appris la patience, l'attention au cycle naturel, la fragilité de la vie : des qualités essentielles également dans ma démarche artistique. Quand je prends soin de mes poules, je me reconnecte à quelque chose de très concret, de très humble. Et c'est cette même énergie que je veux insuffler dans mes BD : une attention au vivant, une lenteur précieuse dans un monde qui va trop vite. L'agriculture nourrit mon art, comme elle nourrit mon esprit.
Vous évoquez une connexion spirituelle à la terre et un engagement pour la souveraineté alimentaire. En quoi ces dimensions influencent-elles concrètement vos pratiques artistiques ou agricoles ?
Chez moi, l'art n'est jamais séparé de la vie. Tous mes engagements, que ce soit pour la mémoire, l'écologie, la sororité ou la souveraineté alimentaire, se retrouvent naturellement dans mes créations. Ils sont tissés ensemble comme les fils d'un même tissu. Par exemple, dans mon projet à venir autour de Kimpa Vita, je parle à la fois de l'histoire des résistances féminines et de la connexion spirituelle avec la terre. Pour moi, créer c'est chercher à réparer, à réenchanter, faire émerger d'autres possibles.
Quels sont vos projets à venir ?
Je travaille sur un projet de bande dessinée qui me tient particulièrement à cœur. Une œuvre autour de Kimpa Vita, figure historique et spirituelle majeure du Kongo. À travers cette BD, je cherche à redonner chair à notre mémoire collective, à raconter une histoire de résistance féminine, d'espoir et de reconnaissance. En parallèle, je poursuis aussi mes ateliers de création collective de fanzines, au cours desquels j'accompagne de jeunes artistes. Et bien sûr, je continue à développer mon projet agricole, parce que pour moi cultiver la terre et cultiver l'imaginaire font partie d'un même combat pour un avenir commun.
Enfin, quelle est la question que l'on ne vous pose jamais et que vous aimeriez que l'on vous pose ?
"Comment va le berceau de l'humanité, surtout en RDC ?"C'est une question que j'aimerais entendre plus souvent. Et ma réponse serait claire : nous avons suffisamment essuyé les larmes en sang. Encore aujourd'hui, nous perdons des vies humaines chaque seconde. C'est toute l'humanité qui devrait s'interroger pour faire cesser cette guerre. Nous sommes tous concernés.